« LA REPRISE – HISTOIRE(S) DU THEÂTRE », MAGISTRAL MILO RAU

CRITIQUE. « La Reprise – Histoire(s) du Théâtre (1) » de Milo Rau – Festival d’Automne à Paris, jusqu’au 5 octobre 2018.

« Ihsane Jarfi a parlé à un groupe de jeunes hommes dans une polo grise à Liège devant un bar gay. Deux semaines plus tard, il est retrouvé mort à la lisière d’une forêt. » Point de départ de la pièce.

Le public est averti. Une affaire criminelle, un crime effrayant et abject, va se jouer devant lui. La reconstitution d’une réalité qui date de 2012. Quatre comédiens et deux amateurs se chargent de rendre réelle la représentation. Leur jeu est d’une sobriété remarquable, aucune esbrouffe, la nue simplicité. Même l’humour a sa place. Tout est agencé pour que l’on se souvienne que l’action est théâtrale: on démontre le truc qui fait que le comédien peut en frapper un autre sans lui faire mal, chaque acteur se présente avec sa réalité personnelle, l’écran projette le plan rapproché de l’action en cours, etc. Oui, le public sait qu’il assiste à une fiction. Pourtant, lorsque surgit la violence, celle qui montre les parents de la victime démunis et vulnérables, celle froidement silencieuse de l’agression puis du crime, celle aussi d’une région en crise où une place de travail peut être convoitée par soixante-dix personnes, l’empathie et l’émotion sont réelles. Elles culminent au final avec ce poignant « Cold Song » chanté par le personnage d’Ihsane.

Une pièce magistrale, aussi intense que bouleversante. Le théâtre populaire et pourtant exigeant que Milo Rau célèbre et préconise est à portée de tous les publics. Son questionnement sur la création, le financement, l’internationalité du théâtre actuel, est essentiel.

Cette pièce débute la série « Histoire(s) du théâtre » de Milo Rau. Sous forme d’enquêtes, il questionne le tragique de la condition humaine et tente, avec son théâtre documentaire, d’éclairer le monde, de le conscientiser. Avec l’ambition proclamée de le changer. Comme le veut son manifeste « Dogma », Milo Rau (nouveau directeur du Théâtre national de Gand) a produit « La Reprise » selon dix contraintes.

« Dans Dogma, 20% peuvent venir du modèle, quel qu’il soit, et le reste doit être imaginé et produit par l’équipe. C’est donc le contraire d’un dogme, puisque cela oblige tout le monde à penser tout le temps. » Milo Rau

Culturieuse
vu le 1.06 au théâtre de Vidy, Lausanne

Le Manifeste de Milo Rau a été publié simultanément en flamand, en allemand, en anglais et en français. Il se veut un acte militant pour un nouveau théâtre européen et non nationaliste. Le voici :

1. Il ne s’agit plus seulement de représenter le monde. Il s’agit de le changer. Le but n’est pas de représenter le réel, mais bien de rendre la représentation réelle.

2. Le théâtre n’est pas un produit, c’est un processus de production. La recherche, les castings, les répétitions et les débats connexes doivent être accessibles au public.

3. La paternité du projet incombe entièrement à ceux qui participent aux répétitions et aux représentations, quelle que soit leur fonction – et à personne d’autre.

4. L’adaptation littérale des classiques sur scène est interdite. Si un texte – qu’il émane d’un livre, d’un film ou d’une pièce de théâtre – est utilisé, il ne peut dépasser plus de vingt pour cent de la durée de la représentation.

5. Au moins un quart du temps des répétitions doit se dérouler hors d’un espace théâtral, sachant que l’on entend par espace théâtral tout lieu dans lequel une pièce de théâtre a déjà été répétée ou jouée.

6. Au moins deux langues différentes doivent être parlées sur scène dans chaque production.

7. Au moins deux des acteurs sur scène ne peuvent pas être des acteurs professionnels. Les animaux ne comptent pas, mais ils sont les bienvenus.

8. Le volume total du décor ne doit pas dépasser vingt mètres cubes, c’est-à-dire pouvoir être transportable dans une camionnette de déménagement conduite avec un permis de conduire normal.

9. Au moins une production par saison doit être répétée ou présentée dans une zone de conflit ou de guerre, sans aucune infrastructure culturelle.

10. Chaque production doit avoir été montrée dans minimum dix lieux répartis dans trois pays au moins. Aucune production ne pourra quitter le répertoire de NTGent avant d’avoir atteint ce nombre.

Gand, le 1er mai 2018

Photos Festival d’Avignon / Bea Borger

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