CRITIQUE. « L‘Homme qui mangea le monde », de Nis-Momme Stockmann – Dramaturgie et mise en scène : Georges Lini – Théâtre de Poche – à Bruxelles jusqu’au 13/10/18.
Ce pourrait être vous !
La salle est à son comble et le décor décoche des Oh ! d’exclamation parmi le public. Une toile en transparence révèle un intérieur aux multiples facettes. Le téléphone sonne décidemment beaucoup sur scène, et on accroche, captivé par le déroulement… L’histoire commence.
Il a tout. À savoir : un bon travail, une femme, des enfants, des amis, un frère, un père. Fidélité, amour, sécurité. Bref, tout est bien dans le meilleur des mondes. Le bonheur absolu me direz-vous ? Et pourtant… Est-ce bien suffisant pour cette homme de 35 ans, qui, sans crier gare, et peut-être même sans le voir venir, perd tout du jour au lendemain ? La perte de son travail le conduit à quitter sa famille, à se brouiller avec ses amis, sans le sou, la chute devient vertigineuse, un sans fond. Pour couronner le tout, son père, atteint de démence sénile, lui demandera de l’aide. Entre orgueil, égocentrisme, responsabilité, culpabilité, tendresse et maladresse, désespoir et l’envie de faire une pause, que faire ? Quelle sera l’issue de cette histoire brillamment mise en scène ? La réponse est simple : il est encore temps, courez voir ce spectacle !
L’auteur : « L’homme qui mangea le monde » (créée en 2009) a été reprise de nombreuses fois dans divers théâtres en Allemagne, mais pas seulement, puisque traduite dans plusieurs langues, cette pièce s’est jouée en France, au Danemark, en Italie, au Japon, etc. Avec la mise en scène de Georges lini, la voilà à Bruxelles, pour le plus grand bonheur du public belge. On ne compte plus les prix pour cette œuvre de l’auteur et dramaturge allemand, Nis-Momme Stockman. Écrivain, metteur en scène, directeur de théâtre, et j’en passe, il n’en est pas à son premier spectacle du genre (premier prix du Festival international du cinéma à Odense en 2005 pour son court-métrage « Ignorans» (sans “t”) ; nominé pour le prix Leipziger Buchmesse pour son premier roman : « Der Fuchs » ; élu Jeune Dramaturge de l’année 2010 ; etc.). En effet, artiste indépendant, il aime aborder les sujets brûlants d’aujourd’hui, ceux qui basculent dans les méandres d’une société socio-économique et politique, où le burn-out est désormais monnaie courante, comme dans cette pièce, ou encore la misère, la marginalité et la notion d’exclusion qui concernent tant de familles aux revenus misérables, dans une société pressée et vertigineuse. Sujet que l’on retrouve d’ailleurs dans son texte « Si bleue si bleue la mer ».
Stockmann a le don de raconter ces terribles histoires avec une touche de poésie et de tendresse, tout en créant l’angoisse d’un réalisme qui frappe forcément le spectateur, une façon de dénoncer finalement les dysfonctionnements de ce monde dans lequel nous vivons.
Mise en scène et comédiens : Directeur artistique et metteur en scène de la Compagnie Belle de Nuit (et j’en passe), Georges Lini, également comédien dans la pièce, signe une nouvelle fois une mise en scène qui mérite largement le détour (on se souvient de « La profondeur des Forêts » (voir BDO), ou encore « La cuisine d‘Elvis, prix de la mise en scène en 2009 ; etc.). Projection très réussie toute en transparence sur la scène, les histoires dans l’histoire, et rien d’autre ne sera dévoilé pour laisser la découverte au spectateur, Lini est décidément très fort dans l’art de captiver l’attention. Il soutient et travaille d’ailleurs en collectif dans l’élaboration du spectacle.
Dans le rôle du personnage principal : impressionnant et fait presque l’effet d’un miroir pour celui ou celle qui s’y identifierait. Itsik Elbaz, (l’ami dans la pièce) comédien engagé, se devait de figurer parmi ce très bon casting. Et bien entendu, il assure. Metteur en scène lui-même (voir » Promesse de l’Aube » BDO), il a été membre du ZUT, tout comme Lini (Lini était le directeur de ce théâtre). Et puis il y a Vincent Lecuyer (le frère) drôle dans son rôle sérieux, un art difficile, qu’il remporte haut la main. Plusieurs scènes à son actif, sans compter le cinéma (prix interprétation 2004 dans « Alice et Moi » de Micha Wald) et la télévision. Nargis Benamor (la femme du personnage principal), parvient à nous émouvoir tant elle dépeint avec talent la détresse de cette femme brisée par les évènements. Engagée dans la lutte pour les Droits de l’Homme, Art-thérapeute, elle allie théâtre et le militantisme à travers de multiples expériences d’écriture, peut-on lire d’elle. Une comédienne qu’on ne demande qu’à suivre. Et enfin, Luc Van Grunderbeeck qui, lui, vient nous percer en plein cœur, tant son rôle de père dans la pièce est percutant. On le plaint, on l’aime, on a pitié de lui, on voudrait l’aider. On y croit. Alzheimer, démence sénile, des mots malheureusement bien connus dans la réalité de beaucoup d’entre nous. Comment réagir ? Que faire ? Telle est la question.
« L’expression d’une société paradoxale, l’obsession au profit d’une réussite sociale qui oublie une part essentielle de notre humanité : le rapport aux autres ». Voilà ce qu’a voulu nous montrer Georges Lini, et il y réussit !
Teinté d’humour sans rien ôté au sérieux du sujet : « L’homme qui mangea le monde », encore une preuve que le théâtre à cet incroyable don de faire passer les messages, de faire évoluer les consciences, de bousculer pour mieux comprendre, pour débattre et pourquoi pas, de faire changer les choses !
J’y vais et j’en parle autour de moi !
Julia Garlito Y Romo
Comédiens : Georges Lini, Itsik Elbaz, Vincent Lecuyer, Luc Van Grunderbeeck et Nargis Benamor. Scénographie : Renata Gorka ; vidéo/son : Sébastien Fernández – Lumières : Jérôme Dejean – Traduction : De Nils Haarmann et Olivier Martinaud
Bon à savoir : Ce spectacle est recommandé pour les classes de 5ème et 6ème secondaire. Des animations sont proposées en amont et en aval du spectacle (Atelier PhiloCité). Un rendez-vous au bar du théâtre de Poche est fixé au 03/10/18 où se tiendra un débat autour du spectacle en présence de professionnels (notamment Serge Goffinet psychiatre, psychothérapeute et président du réseau burn out) et de l’équipe artistique du spectacle sur le thème « Burn out, comment s’en sortir » ? Partager l’expérience et témoigner est possible, pour plus d’info : http://www.poche.be/burnout/