CRITIQUE. 18e Biennale de la Danse de Lyon : La Symphonie Fantastique, d’Hector BERLIOZ, chorégraphiée par Saburo TESHIGAWARA et Rihoko SATO – Auditorium de Lyon, Septembre 2018
A l’entrée de l’Auditorium de Lyon, le public de la Biennale de la Danse, un peu perdu dans le rythme effréné des spectacles, ne cache pas son étonnement lorsque les ouvreurs leur souhaitent un bon concert. En effet, l’orchestre symphonique est en place et le chef, Cristian Macelaru fait son entrée sous les applaudissements d’une salle dans le doute. Joan Tower, Bela Bartok, Maurice Ravel. Les compositions de grands ballets s’enchainent avec virtuosité tandis que les programmes passent de mains en mains et que beaucoup de spectateurs se lèvent, déçus et déjà en retard pour leur prochaine réservation. Pourtant, était annoncée en seconde partie, « la Symphonie fantastique », op 14, d’Hector Berlioz, chorégraphiée par Saburo Teshigawara, interprétée par lui-même et Rihoko Sato.
L’orchestre se fond dans le noir. Au sol s’ouvre un petit carré de lumière, dans lequel Saburo vient prendre discrètement sa première position. Bras et jambes croisés, tête inclinée, il fait dos à l’orchestre gigantesque et influe l’humilité comme mot d’ordre. Dés les premières notes, le mouvement démarre et ne s’arrêtera plus. La gestuelle bavarde et remarquablement nuancée du chorégraphe est reconnaissable : le jeu de jambe galopant est ininterrompu, les bras flottent, ondulent et fouettent de l’omoplate jusqu’aux bouts des ongles, la colonne toute entière devient instrument des extrémités dansantes.
Soudainement, Rihoko Sato fait son entrée et offre un port de tête qui fait appel à la grâce des plus grandes danseuses étoiles. Bien que leur technique, loin de la démonstration, plutôt viscérale, soit à l’opposé du classique, elle en conserve les plus belles notes : envol, maîtrise et virtuosité. La danseuse va et vient tandis que le chorégraphe ne quitte jamais la scène. Tous deux évoluent dans un espace flou, indéfini, comme si leurs déplacements étaient soumis à leurs gestes. La lumière, faite de simples changements d’intensité ponctue les 5 actes et l’évolution d’état des « personnages ».
Les deux interprètes dansent côte à côte, sans se voir. Aucun regard ne sera échangé. Ils ne s’effleurent qu’une seule fois. Les archers et les baguettes menés par les ports de bras virevoltants du chef d’orchestre offrent à eux seuls une chorégraphie dont la puissance ne sera pas exploitée. Aucune relation ne sera établie entre tous ces corps en présence. Où est donc le lien ? Entre les danseurs eux-mêmes, entre les danseurs et les musiciens, et bien souvent entre le rythme, les mélodies et le geste ? Un instant de frustration qui s’évanouit bien vite face à l’ensemble d’apparence décousue mais d’une puissance déconcertante. La multitude des mouvements des musiciens renvoie à la complexité d’une partition, à cette marée musicale faites d’innombrables notes et ponctuations singulières. Une composition que l’on pourrait ignorer si l’écriture chorégraphique chargée ne lui rendait pas hommage. Lorsque le geste colle à la mélodie dominante, c’est évidemment d’un impact extraordinaire. La qualité du mouvement alors accordé au son est d’une telle justesse que l’on ne peut douter de la capacité des artistes à écrire et danser cette symbiose.
Simplement, Saburo Teshigawara a choisi de faire autrement. Il a décidé de « ne pas utiliser la symphonie fantastique en tant que musique, mais de se servir du geste afin de donner corps à la structure de cette composition » (1)
Entre son intention explicitée dans le programme et ce qui est donné à voir en scène, aucun faux pas. La répétition chorégraphique fait écho à l’obsession éprouvée par Hector Berlioz pour Harriet Smithson qui lui avait inspiré la symphonie. Si le compositeur a souhaité raconter une histoire, il a surtout imprégné son œuvre de son besoin d’expression, teinté de rêves passés, de fantômes et de doutes quant à l’avenir. Ce sont ces ressentis que les danseurs mettent ici à l’honneur, en se laissant ployer sous la charge émotionnelle portée en premier lieu par la musique.
Le chorégraphe ne joue pas vraiment le rôle du compositeur, et ne demande pas à son interprète féminine d’incarner cette femme qu’il a tant aimé. Tous deux se font vecteurs de sentiments universels et intemporels : amour, rêve, désir, anxiété. Entre eux, au cœur du vide, puis dans tout l’espace partagé, prend vie un corps qui ne leur appartient pas : « l’âme pure d’un jeune déformé par un vaste destin ». (1)
Saburo Teshigawara, fondateur de la compagnie Karas en 1985, créateur entre autre, de cinq opéras, n’a plus à faire ses preuves aussi bien dans le milieu de la danse que dans son association avec la musique. Son acolyte Rihoko Sato ne compte plus les prix internationaux dont elle fût honorée. Mais au-delà de ces titres qui ne veulent parfois rien dire, ce sont avant tout des travailleurs acharnés, au service de leurs arts. Leur prestation, ce soir là, n’a fait que le confirmer. Musiciens et danseurs ont au final disparu pour laisser place à la volonté d’un jeune compositeur de 188 ans: « que l’imagination de l’auditeur puisse rejoindre son monde intérieur ».(2)
Sezac La Rouge
note 1 : Note du chorégraphe, issu du programme de la Biennale de danse.
note 2 : Note sur le compositeur, issu du programme de la Biennale de la danse