CRITIQUE. 18e Biennale cde la Danse de Lyon : « Augusto » d’Alessandro SCIARRONI, Théâtre de la Croix Rousse. Septembre 2018
Après « Folk-s, willyoustill love me tomorrow », en 2016, la Biennale de la danse 2018 programme à nouveau Alessandro Sciarroni au Théâtre de la Croix Rousse, avec « Augusto », fruit de ses dernières recherches. Une pièce conceptuelle, suite du travail effectué lors du projet « Performinggender », née des ateliers CAMPING, dans laquelle on retrouve les leitmotivs de l’artiste : voix en scène, collaboration étroite avec les musiciens compositeurs, « transe » des danseurs, volonté de temps distendu et d’hypnose du public.
Alessandro Sciarroni, issu des arts visuels et de la recherche théâtrale assume les termes d’artiste performeur et de pièces expérimentales. Ses démarches ont été comparées au travail de Marcel Duchamp et à un exercice qui irait « au delà des définitions traditionnelles du genre » (1)
Qui dit Duchamp, dit entre autre Ready Made : « un objet manufacturé qu’un artiste s’approprie tel quel, en le privant de sa fonction utilitaire… » Effectivement. La « manipulation » des danseurs, à savoir les déplacements chorégraphiques, faits ici de cercles, lignes, isolements et rassemblements, sont plus que sommaires. La fonction du danseur: danser, est réduite au strict minimum quand après 30 minutes d’ennui et de rire forcé, la musique tonitruante vient surenchérir les quelques pas dignes de la Macarena, effectués par des interprètes épuisés. L’impact est là. Ca fonctionne, à l’image d’une tâche noire sur un fond blanc qui ne peut qu’être remarquée. On assiste donc à des procédés de plasticiens provocateurs plus scolaires que révolutionnaires. Le tapis et le fond blanc impeccables, les costumes en jean hyper stylisés créent une ambiance glaciale de défilé de mode. Les danseurs rendus minuscules, perdus dans l’espace, semblent appartenir à une expérience sous microscope. Le ressenti général, malgré une composition musicale fournie mais accessoire, est d’une froideur plastique.
Une impression paradoxale face aux dires d’Alessandro Sciarroni qui parle avant tout de l’humain, d’une pièce dont « le point de départ sont les gens », de l’importance du « plaisir, du partage et du sentiment », et de sa volonté de toucher le public, ici par la contagion du rire.
Avec « Turning », en 2015, il trouvait réducteur d’être associé aux Derviches tourneurs, ce qui était pourtant l’évidence même. Aujourd’hui, il se permet de lier littéralement son travail au clown et d’en déformer les fondements. Quel que soit le réel point de départ de ce genre de clown, « un écuyer étourdi, un garçon de piste, trébuchant», ou « le père d’un clan d’acrobates italiens maladroit » (2), il s’agit d’un accident. L’imprévu est l’un des principes phare du clown dont l’art réside dans la spontanéité et la capacité d’improvisation. Des valeurs à l’opposé de ce que dégage cette pièce : une certitude scientifique, exposée dans le programme, de rendre ce rire contagieux. Un rire imposé aux danseurs qui demeure maniéré et esthétique.
Ce n’est pas un hommage, ni même l’emprunt d’une pratique qui pourrait être approfondie. On assiste plutôt à une caricature peu scrupuleuse et au pillage de la démarche originelle.
Si l’appropriation d’une technique autre reste donc superficielle et que l’innovation prêtée à l’artiste ne se retrouve pas dans la composition, certains diront que l’audace réside dans le thème du rire. Un rire en scène pourtant déjà largement exploité par la danse contemporaine. (Maguy Marin, Philippe Decouflé, Denis Plassard…)
Beaucoup ont apprécié, le « caractère provocateur », et l’intention d’impact sur le public. Pourtant, une petite heure avant, dans le même théâtre, se jouait « El agitador vortex » de Cris Blanco. L’artiste espagnole met en scène, la réalisation loufoque d’un film live. Elle a tenté de faire chanter le thème de « titanic » en karaoké au public légèrement « pincé » de la biennale. Une assemblée qui a lourdement peiné à se lever de sa chaise, les quelques fois où la performeuse leur demandait de l’aide sur le plateau. Une proposition participative hautement plus risquée dans ce contexte, que celle d’Alessandro SCIARRONI, et pourtant quasiment ignorée.
Cris Blanco, ne s’autoproclame pas de la danse et est la première étonnée, d’être programmée dans le cadre de la biennale. En effet, lors de cette soirée, qu’il s’agisse de l’une ou de l’autre pièce, que tout oppose, il n’était question d’aucune gestuelle aboutie et surtout pas de l’écriture chorégraphique de cette dernière. Mais après tout, puisque la non danse existe, entendons que l’on peut s’attendre à tout et plus particulièrement au rien.
Il ne s’agit pas d’accabler les démarches expérimentales. C’est ainsi, entre autre, que la danse évolue. Ce sont aussi des territoires exutoires précieux pour les danseurs. Mais face à la programmation quasiment inexistante des compagnies locales, même les plus prometteuses, on ne peut que s’offusquer de la place d’Augusto, produite par un artiste déjà très largement soutenu et visible (Cent Quatre, Opéra de Lyon, CND…).
Enfin, pourquoi choisir la danse ? Peut-être pour la capacité de ses interprètes, souvent formés à subir sans broncher ? Pour l’affection et l’ouverture des grandes institutions aux démarches intellectuelles qui sont censées redorer l’image de cette discipline, associée au divertissement plus qu’à l’art ? Malgré tout, les danseurs ne sont pas des urinoirs et les spectateurs, pas des rats de laboratoires.
Sezac La Rouge
1 : Programme de la Biennale de la danse
2 : ITW SCIARRONI https://www.biennaledeladanse.com/spectacles/augusto-creation.html
3 : Pascal JACOB, Une histoire du cirque, Seuil, 2016.