CRITIQUE. Charles Péguy, Le Visionnaire – avec Bertrand Constant, écrit par Samuel Bartholin – Mise en scène de Laeticia Gonzalbès – Théâtre de la Contrescarpe 5, rue Blainville 75005 Paris, tous les lundis à 20 heures.
La justesse de ce moment de théâtre » Charles Péguy, Le Visionnaire » tient à la restitution de l’âme de l’époque qu’il traversa. Epoque sombrant dans les plus âpres nébuleuses, à plus d’un sinistre titre. Epoque qui remue nos interrogations, car elle est en prise aux mêmes impasses que la nôtre.
Pour incarner Péguy, un seul en scène, Bertrand Constant, qui trouve une tonalité très bien investie, entre espérance, effervescence intellectuelle, cohérence et doutes entre Ciel et Terre, franchise de feu et de fer, et respiration déçue, empreinte de mélancolie.Comme une langueur d’Homme cependant non résigné, complexe donc viscéralement humain, touchant.
Par son Esprit d’une forte puissance analytique, le voilà, telles des avant premières, regardant les hommes se précipiter dans le mur. Et souffrant au point d’en « être couturé de partout » de ne pas pouvoir plus les sauver, d’être en rupture face à leur incapacité à fédérer société plus juste. D’où sa Foi, car sinon comment respirer en ce monde ? Foi que la pièce évoque, mais ne rend pas omniprésente. Cela nous laisse ainsi découvrir un homme bien au délà de sa spiritualité : ça aussi c’est un choix juste de l’équipe artistique.
Pleine place au journaliste, au socialiste, au patriote, au dreyfusard, à l’écrivain, au soldat, au Croyant en Dieu qui ne baptise pas ses enfants, au Chrétien qui appelle la petite fille Espérance alors qu’il va mourir, à l’enfant, à l’homme dévoilant son amour pour une autre que sa femme, au fervent défenseur de l’école de la République, au vigoureux réfractaire à la cause réactionnaire… Tout cela est porté par une belle clarté de propos.
Un homme revisité dans sa complexité donc, revenu de son temps pour nous prédire, de son Talent visionnaire, les stériles chemins qui servent encore de nos jours de folle boussole au Monde. Il est impossible de ne pas nous dire « et nous en sommes encore là !? » et c’est une réussite que de faire résonner en nous un tel constat
Des Rayons de lumière ponctuent les visites du jeune journaliste, prétexte à ce monologue traversé par des voix, voix des âmes qui ont fait ce que Péguy était, qu’il les ait rencontrées ou priées, comme Jeanne D’Arc, visage si cher à sa plume de grand Poète. Le temps qui file tout autant qu’il est remonté par la pièce, est scandé par les battements des cloches, comme une supplique pour un monde unifié.
D’une chaise et d’une table, uniques éléments de décor, la toute petite scène soutient tête haute les batailles intérieures de Péguy alors qu’en coulisses se prépare la bataille de la première guerre mondiale.
A noter le beau moment où l’on devine l’estime de Péguy pour Jaurès alors que ce dernier vient d’être assassiné et que des notes d’accordéon accompagnent ses mots. Sans pourtant la citer, il nous semble soudain être en communion avec la chanson de Brel « pourquoi ont-ils tué Jaurès ».
Je souhaite à la pièce de continuer à être donnée et que son public soit toujours plus diversifié. Que des curieux aient la juste audace de dépasser l’étiquette chrétienne de Péguy et aillent découvrir ce spectacle.Car c’est avant tout le cheminement d’un anticonformiste qui nous est ici transmis, « la quête passionnée de sens et d’authenticité qui soutient l’existence de Péguy, son goût de s’inscrire dans quelque chose de plus grand que lui » pour citer l’auteur de la pièce, Samuel Bartholin.C’est un bel exercice d’incitation au dépassement d’idées reçues qui s’anime.
Or, alors que je patientais dans la file d’attente avant que d’accéder à la salle, j’étais essentiellement entourée de chrétiens venus accueillir ce geste artistique.
Que tout citoyen, peu importe le parcours de Vie qu’il emprunte, saisisse cette juste possibilité de méditer sur ses valeurs personnelles d’Homme et d’Acteur du monde contemporain. Car Charles Péguy, tiraillé par des tensions, notamment entre patriotisme et humanisme, nous appelle tous à devenir des êtres au courage d’aller au delà de soi.
Marie-Zélie