CRITIQUE. « Aragon ou le mentir-vrai », Alain Bonneval, mis en scène par Alain Bonneval. Théâtre du Nord-Ouest, lundi 19 septembre à 20h45, samedi 29 septembre à 19h, et « après on verra».
Un des plaisirs du théâtre est indéniablement ce petit vice de voyeurisme secret dans le noir des fauteuils, vice partagé et pardonné. Mais le spectacle d’Alain Bonneval n’invite pas à espionner des personnages dans leur intimité ; ce sont les comédiens eux-mêmes qu’on surprend dans celle évidente qu’ils partagent. Quelle complicité, ces compères, quels bons copains, quel bonheur de les voir s’échanger ces regards entendus, de les voir s’amuser, encore une fois, depuis mille fois peut-être dans cet hommage simple et intelligent ?
La narration est excellente, le rythme est excellent, c’est un moment tout naturel où quelques amis de longue date se renvoient la parole tranquillement comme on se passe une balle en mousse dans le salon en reparlant du bon vieux temps. Quel bon vieux temps ! Aragon n’a pas un chemin paisible, sa route fut semée des violences de son temps, qu’il a affrontées, en acte et en idée. Mais son cheminement poétique fut tendre. Tendre pour les hommes, tendre pour la femme qu’il aima, et c’est cette tendresse qu’ont aussi les quatre compagnons d’Entre Terre et Ciel les uns pour les autres. A vrai dire, on se sent un peu oublié, dans le public, et tant mieux.
Sur la partition de Dominique Legrix à l’accordéon, ce voyage dans les textes d’Aragon est l’occasion de se rappeler combien il fut un auteur populaire au sens noble du terme. Il n’est pas surprenant que Brassens se soit emparé de sa poésie, il y a une familiarité entre ces figures qui ont vaincu la tristesse d’une sorte de gaieté apaisée, avec ce verbe qui pince doucement, pour rire et gronder en même temps. « Aragon ou le mentir-vrai » réconciliera les parisiens soulés de métro avec l’accordéon, cet instrument subtil à la note aussi espiègle que la plume d’Aragon ou le jeu mutin de Brigitte Deruy. Les comédiens, ou les musiciens, ou les deux, ont trois voix singulières qui poursuivent agréablement cette quête de simplicité taquine, avec des timbres jolis et sans prétention, sans artifice… Presque « comme ça vient ». Après tout, ce sont des ballades. Et, sans mentir, je n’étais pas la seule à battre la mesure du pied, à balancer mes épaules avec l’envie de pousser moi aussi la chansonnette, et je dénonce deux de mes voisines qui ont cédé à la tentation.
Il est rare de voir la petite salle du Nord-Ouest pleine à craquer, et les applaudissements furent assez nourris pour confirmer l’intuition que j’ai d’avoir assisté à l’un des spectacles les plus intelligents de cette rentrée. Et l’un des plus savoureux pour une tranquille soirée parisienne entre amis. Ne venez pas seul. C’est absolument convivial, et vous chantonnerez en sortant, alors entourez-vous de bons camarades pour donner le change à cette franche camaraderie, sur scène, qui est tout de même un peu insolente.
Marguerite Dornier