ROMY, C’EST UN ZIG-ZAG

CRITIQUE. « Romy Schneider », biographie écrite, interprétée et mise en scène par Véronique Daniel au Théâtre du Nord-Ouest jusqu’au 25 septembre.

Comme on aime la petite salle du Théâtre du Nord-Ouest ! Pour le spectateur errant dans Paris en été, c’est comme s’extirper d’une rame de métro bondée ou échapper à une soirée mondaine. Il y a dans l’obscurité et le confinement ce qu’il faut d’âme pour se débarrasser du monde. L’entre soi et ce ralentissement sensible du temps, dont la mesure bat comme un cœur très calme, font un petit détachement de l’univers où le rêve est plus vrai. On désencombre la vérité, et la salle sans scène où se disent des choses épurées n’a pas de place pour héberger l’artifice d’un décor trop chargé. Il y a de l’humain, son attention au beau verbe, et trop peu de filtres à l’émotion pour qu’elle ne surgisse pas dans sa forme brut et vive. Heureux les fêlés…

Véronique Daniel a écrit sa biographie de Romy Schneider sur le mode difficilement narratif des chagrins de sa muse : en zigzag. Elle cède au naturel de la mémoire ses biais chronologiques, ses manques de rigueur et ses incohérences. Sur scène, c’est Romina, la Romina de Piccoli, qui se souvient, pêle-mêle, les vertiges, les cœurs battants, les souffles courts, les asphyxies, la gloire et ses caprices, avec la démesure d’une héroïne tragique. Les tragédies contemporaines ne sont plus celles des dieux d’Olympe ; ce sont celles des divinités modernes, des vedettes. Romy Schneider n’est-elle pas parvenue elle-même au rang prisé de figure mythologique dans l’imaginaire collectif du XXIème siècle ? La vie de Romy Schneider n’est-elle pas terrible et pitoyable ? L’émotion dans la salle, cette espèce d’humidité des yeux, c’est le projet du tragique. En cela, Véronique Daniel une dramaturge précise, et douée.

La comédienne s’est approprié cette nonchalance des premières marques de l’âge sur la beauté ; l’entrée grâcieuse en disgrâce, dans les parures de la gloire. Le bandeau blanc et la robe jaune que Romy portait pour son retour éclatant à Paris et ses retrouvailles avec Alain Delon, les déshabillés et les paillettes, recréés par la Maison Carol, sont des petites distractions de sa figure agitée, portée comme un masque de comédien grec. Ca ressemble à Maria Casarès : Véronique Daniel expose entièrement son visage, n’épargne aucune de ses transformations dans la douleur ou dans l’hystérie, répondant au vœu de Barthes en 1954 qui voulait qu’on engageât le visage dans le théâtre en rompant avec « la beauté pâteuse ou éthérée des studios ». Paradoxal pour interpréter d’une beauté consacrée des studios ? La comédienne fait dire à Romy Schneider : « tous ces rôles m’ont volé mon visage ». Quant à moi, j’ai écrit sur mon carnet pendant la pièce : « il ne faut pas la quitter des yeux, c’est son visage qui joue. »

On a parfois l’impression qu’elle ne prête plus sa voix à Romy : qu’elle y mêle la sienne, car il y a des harmonies entre ces deux femmes. Les passages jubilatoires, et la flamme dans le timbre et dans l’œil de Véronique Daniel au moment de les dire, trahissent sinon cette absorption, cette familiarité, cette reconnaissance : le pouvoir du mot sur le chagrin, la révélation et le talent sur scène, l’accomplissement dans la tirade au théâtre, sont des échos, fort bien écrits, et sans nul doute très investis, d’une communion d’âme et d’art entre les comédiennes. Quand elle les dit, elle irradie.

Qu’on ne se méprenne pas. La pièce n’est pas pesante. Elle est même égrainée de légèreté. Le grain grave un peu populaire de Véronique Daniel est tout à fait charmant quand il se promène dans la chanson française (quel joli « Il n’y a pas d’amour heureux » !) On regrettera les jeux de lumières sur les parties chantées qui donnent un côté karaoké et affaiblissent la composition théâtrale, assez équilibrée par ailleurs. On a plaisir à s’échapper par moment sur l’écran de télévision dans quelques extraits choisis des grands films de sa grande époque ; on adore voir Véronique Daniel reprendre les rôles, avec brio et humour, dans un détachement qui ne trompe pas grand monde sur le plaisir qu’elle a elle-même à jouer. A l’occasion, elle se glisse même dans quelques autres personnages (le plus réussi est Marlène Dietrich. Elle est crédible à mort, c’est un coup de maître.) On sort de ce spectacle avec l’impression d’avoir passé une heure avec quelqu’un qui a effectivement fréquenté Delon, Montant, Dietrich, Deray, Sautet, Visconti… et qui s’en souvient comme d’hier. On est éberlué, à se demander si tout cela n’est pas une vaste comédie, si la dame n’est pas un peu folle. Et puis on se rappelle qu’on était au théâtre. C’est une belle soirée, nous serions même bien restés encore un peu. D’autant qu’alors que nous sommes six, et que c’est terrible, Véronique Daniel joue avec ferveur comme si nous étions cent.

Marguerite Dornier

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