AIX-EN-PROVENCE : SIMON McBURNEY ENCHANTE MOZART

CRITIQUE.Festival d’Aix-en-Provence 2018 – La Flûte enchantée (Die Zauberflöte) – Opéra de Wolfgang Amadeus Mozart – Mise en scène : Simon McBurney – Direction musicale : Raphaël Pichon – Spectacle donné au Grand Théâtre de Provence les 6, 9, 11, 16, 19, 21, 24 juillet à 19h30, le 14 juillet à 17h.

Le Festival d’Aix-en-Provence ne se conçoit pas sans Mozart ! Cette année c’est une reprise de la production du Festival 2014 de l’ultime opéra de Mozart mis en scène par Simon McBurney qui est à l’affiche avec une distribution partiellement remaniée.

« La Flûte enchantée » est un opéra à multiples facettes et fondamentalement populaire. Il se perçoit de différentes manières à tous les âges de la vie. Source d’émerveillement, de découverte et d’amusement aux yeux des enfants pour qui il constitue une initiation idéale à la musique et à l’art lyrique, il révèle plus tard toute sa richesse et la profonde humanité de Mozart. Chaque nouvelle production de cet opéra apporte, au travers de la musique et des talents des metteurs en scène, un détail, un sens que l’on n’avait pas perçu.

Simon McBurney, acteur, scénariste, metteur en scène issu du théâtre, a révélé tous ses talents aux festivaliers, en particulier en tant qu’artiste associé du Festival d’Avignon 2012 au cours duquel il a mis en scène une magnifique adaptation du roman de Mikhaïl Boulgakov « Le Maître et Marguerite » dans la Cour d’honneur du Palais des papes. Il apporte ici sa patte théâtrale dans la mise en scène d’opéra, cet art total qui vaut tant par les images et les jeux d’acteurs que par la musique et l’art du chant.

Il nous propose ici une revisite de cette œuvre vue tant et tant de fois dans des mises en scènes stéréotypées mais qui a pourtant tout pour stimuler l’imagination, le rêve et la création.

La première scène annonce clairement les intentions du metteur en scène. Tamino est un prince qui a tout d’un sportif égaré au cours de son jogging. Sauvé d’un monstre ondulant qui a tout l’air d’une illusion, il est sauvé par trois dames en treillis de combat, immédiatement charmées par ce beau jeune homme inanimé, qu’elles dépouillent et qui se retrouve en caleçon.

Tout le reste est de la même veine. Papageno apparaît en peintre déguenillé et se hisse péniblement sur scène à l’aide d’un escabeau qui l’accompagnera tout au long du spectacle, sans doute pour élever son corps et son esprit et l’extraire de sa condition bassement terre à terre.

La Reine de la Nuit que l’on a vu si souvent apparaître dans toute sa majesté et sa puissance, dominant la scène, est ici une vieille dame courbée sur une canne qui gravit péniblement le plateau et qui finit en fauteuil roulant. Malgré sa conviction et son impétuosité on sent d’emblée que tout est joué, que le Royaume de la Nuit est finissant.

Les trois jeunes garçons, vus habituellement comme de charmants chérubins sont ici représentés comme des vieillards décharnés, courbés sur leur bâton. Ces messagers ne sont pas inspirés par les dieux ou par un quelconque pouvoir magique mais leur sagesse est humaine, sans doute fondée sur toute une vie passée à la recherche de la Vérité.

Sarastro n’a rien d’un despote péremptoire et autoritaire, c’est un homme sage, une sorte de manager éclairé, entouré de disciples en costume-cravate, qui croit en la démocratie. La décision d’initier Tamino et Pamina se prend au cours d’une assemblée qui a tout du comité de direction d’une grande entreprise.

Monostatos symbolise enfin la défaite du vice contre la vertu. Cette brebis galeuse égarée dans ce temple de la sagesse apparaît tout d’abord comme un cadre puissant et lubrique de la City avec son costume sombre et son parapluie, puis se décompose progressivement tout au long du spectacle pour finir comme un barbu hirsute et dépenaillé.

On l’aura compris, la vision de Simon McBurney est iconoclaste, contemporaine et loin de cette Egypte idéalisée et ésotérique suggérée par le livret. Les aspects fantastiques et hiératiques habituels, souvent pompeux, s’effacent ici au profit de personnages profondément humains. Mais cette option très personnelle du metteur en scène qui rend les personnages plus proches de nous ne délaisse pas pour autant ce qui est le sel de cet opéra, à savoir la magie, le rêve, la féerie, la beauté. Bien au contraire !

La scénographie est judicieuse, efficace, pleine de finesse, basée sur la simplicité et l’élégance. L’essentiel du décor est un simple plateau orientable sur lequel ou autour duquel se déroule l’action. Dans deux cabines transparentes situées de part et d’autre de la scène, deux techniciens (que l’on devrait qualifier de créateurs) s’affairent pour produire des bruitages et des effets spéciaux avec des moyens rudimentaires qui suggèrent parfaitement les situations et les lieux, qui créent toute la magie du spectacle et nous offrent des images d’une grande beauté. Les procédés sont simples et basés en particulier sur des projections ou des ombres chinoises stylisées en fond de scène. On retiendra des images pleines de poésie comme ce monstre ondulant autour de Tamino, créé en agitant un simple ruban de soie, le temple de Sarastro évoqué magnifiquement par un rayon de bibliothèque dont les livres constituent les colonnes du Savoir ou encore une magnifique envolée de Tamino et Pamina, entraînés dans un terrible tourbillon lors de l’épreuve de l’eau ou entourés de flammes crépitantes lors de l’épreuve du feu.

Tout au long du spectacle des textes ou des dessins naïfs sont tracés à la craie sur un tableau d’écolier et, projetés sur des voiles transparents, illustrent l’action comme par magie.

Si la mise en scène séduit, il en est de même pour l’interprétation. Raphaël Pichon dirige l’orchestre et les chœurs de l’Ensemble Pygmalion qu’il a fondé en 2006 dans une exécution délicate, limpide et colorée comme il sied à la musique de Mozart. Simon McBurney a souhaité surélever l’orchestre par rapport à une fosse classique, ce qui contribue à le mettre visuellement en valeur et à donner plus de relief à la musique. Les musiciens sont ainsi placés au cœur du spectacle et interviennent parfois directement sur scène, en particulier pour faire jouer la flûte et le carillon magiques de Tamino et Papageno.

Cette mise en avant de l’orchestre est une option tout à fait convaincante dans la mesure où la musique de Mozart, par sa beauté et son expressivité, fait toute la richesse de cet opéra, mais on peut toutefois regretter, dans de rares moments, un déséquilibre entre l’orchestre et les chanteurs au profit de l’orchestre.

Le Tamino de Stanislas de Barbeyrac est bien ce prince noble et volontaire prêt à risquer sa vie pour découvrir la Sagesse et la Vérité et forme un couple parfait avec la Pamina sensible, passionnée et confiante que nous offre Mari Eriksmoen. Les voix sont assurées et limpides et l’harmonie parfaite.

Thomas Oliemans incarne un Papageno alerte et bien sympathique qui n’hésite pas à se mêler au public. Il apporte toute la fantaisie nécessaire au rôle dans une naïveté pleine de bonne volonté, tout en recelant en lui une humanité qui ne demande qu’à s’épanouir.

La Reine de la Nuit de Kathryn Lewek est une sorte de sorcière pleine de convictions mais qui pressent l’effondrement de son Royaume obscurantiste et qui inspire la compassion. La voix est remarquable et virtuose, les vocalises acrobatiques du rôle sont franches et déliées et confèrent aux deux grands airs beauté et pureté.

Dimitry Ivashchenko est un Sarastro noble, majestueux, empreint de sagesse et Bengt-Ola Morgny un Monostatos libidineux et harceleur. Ces rôles sont parfaitement tenus mais apparaissent un peu en retrait, parfois couverts par l’orchestre.

Tous le reste de la distribution est parfaitement assuré par des interprètes irréprochables quant à leurs qualités vocales et leurs talents d’acteurs.

Il était incontournable de reprendre cette production de 2014 qui, tant par la mise en scène originale et créative de Simon McBurney que par la qualité de l’interprétation touche au sublime et mérite largement cette formidable ovation du public. Une véritable redécouverte de cette œuvre mythique et profondément humaniste que n’aurait sûrement pas désavouée Mozart.

Jean-Louis Blanc

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