CRITIQUE. ILIADE – D’après Iliade d’Homère et Homère, Iliade d’Alessandro Baricco – Traduction Paul Mazon, Françoise Brun – Mise en scène Luca Giacomoni – Dramaturgie Marta Fallani – Jusqu’au 16 juin 2018 au Théâtre Paris Villette – du mardi au jeudi à 20H / le vendredi à 19H / Le samedi à 20H / le dimanche à 16H.
Même la guerre obéit à la nuit
Tant qu’il y aura des Lucas Giacomonis, des Alessandros Barricos, des Théâtres Paris Villette, des Centres pénitentiaires de Meaux soucieux de ré-intégration dans la société, des enfiévrés de Vivre, des bousculeurs de désordres trop établis, des priants sans le dire pour que se noient enfin un jour dans l’échec cuisant les guerres, il y aura de la communion réparatrice grâce au Théâtre, il y a aura la joie de faire un morceau de Trajet sur Terre car soudain l’Espoir vous étreint. Et qu’on y croit. A nouveau, enfin.
Alors à cet Iliade d’Homère, courez !
Lorsque l’épisode que j’ai vu commence, ici le troisième, Un jour de bataille, et que peu à peu le Théâtre reçoit les rayons des projecteurs, soudain s’éclaire au sommet d’une colonne le blason de la Ville de Paris, Fluctuat nec mergitur. Fluctuat nec mergitur, trônant au dessus de la guerre de troie, de l’Iliade, qui se met au plateau en ordre de stratégie, avec seulement des chaises noires pliantes de bois.
Voici établie la douloureuse connection avec nos derniers propres épisodes de guerre, à Paris, ailleurs, là maintenant, avec nos combats qui semblent aussi avoir pactisé avec l’interminable longueur, la tension à vif des nerfs décuplée par l’ouvrage insidieux du temps. Luca Giacomoni nous plonge ainsi dans l’objet de sa création : « depuis quelques années, j’entends autour de moi cette expression : nous sommes en guerre.Quel en est le sens ? Et surtout, le théâtre peut-il nous aider à comprendre les racines et la dynamique d’un conflit? »
Par la foule de regards impressionnants d’engagement de sa troupe, mêlant acteurs dits de métier et prisonniers libérés en début de projet ou toujours sous main de justice, par l’organisation même de son projet et par sa représentation finale, il nous dit que oui, de toute évidence oui, enthousiasmant et retournant oui. Parce qu’il aborde les axes complexes qui pourraient amener à la justifier, la guerre, tout en faisant hurler son absurdité. Merci à lui d’avoir choisi l’aventure du refus de simplisme.
A mes côtés, les spectateurs commencent à se questionner aux premières minutes sur « qui est pro ou pas ? » alors que ces hommes investissent d’une telle qualité de présence la scène, prennent la parole et que l’on boit, par leur Talent saisissant de s’incarner, cette poétique d’Homère, d’autant plus bouleversante que certains de ces hommes ont des parcours durs. L’acte de leur donner, sans concession aucune -on imagine les très exigeantes répétitions pour arriver à ce spectacle- d’être Agamemnon, Ajax, Ménélas et de venir nous l’affirmer, voix projetées jusqu’aux racines du mythe, est fort…et mes voisins lâcheront tout de suite leurs questions alors qu’au plateau la bataille commence. On est tous pris.
Muscles saillants, impeccable netteté des mots, énergies décuplées, chaises comme armures, chars, boucliers, faisant progresser les avancées de ces armées. Les capacités à basculer d’une seconde à l’autre de moments d’attentes à des moments de mêlées sont fascinants de maîtrise, de mobilisation extrême de corporalité, d’attention et de capacité à scander sur ce plateau vide, en dehors de ces chaises noires, la montée des enjeux, les noirs desseins des uns et des autres. Et ce temps que l’on sent s’épaissir, commencer à les ensevelir, à mesure qu’avance le récit.
Dans les airs de ce champ de guerre, nous rejoignent les attentes de ces hommes d’un Retour au Pays, leurs Espérances d’une solution, qui les maintiennent debouts, au delà des épuisements, des pertes, des échecs, des impuissances patentes, des discernements éclipsés
A cour, Hélène, par qui tout arriva, splendide.A jardin, une interprète iranienne dont le chant terrasse de beauté, tels des suppliques enfouies de nos désirs de Paix. Elles irradient, dans leur patience silencieuse, immobiles mais puissamment participatives, ce que c’est que d’être en quête d’Unification, la nôtre, les nôtres, donc et puis celle du Monde. Pour que nous enlace le Soleil, et que s’élève « la beauté d’être homme » car « Rien ne pouvait nous sauver. Et le soleil nous sauva. Même la guerre obéit à la nuit »
Nos consciences ont reçu la flèche d’un Théâtre toujours en avenir pour déjouer la violence, puisqu’il joue de mots. Il est une nuit salvatrice qui accomplit ici magistralement sa part pour déconstruire la guerre.
Allez-y.
Marie-Zélie
spectacle vu le 8 juin 2018
Théâtre Paris-Villette, 211 avenue Jean Jaurès 75019 Paris, Résa : 01 40 03 72 23
Avec Armelle Abibou, Mourad Ait Ouhmad, Laurent Evuort, Cristoforo Firmin, Cyril Guei, Brontis Jodorowsky, Lévy Kasse Sampah, Eliott Lerner, Louis Plesse, Bryan Polach, et Michel Quidu – Chant Sara Hamidi – Lumières Sean Seago