CRITIQUE. « Les Limbes » d’Etienne Saglio – Albin Warette (Direction d’acteurs), Valentine Losseau (Écriture), Raphaël Navarro (Écriture), Etienne Saglio (Conception) – au théâtre des Célestins à Lyon pour les Utopistes, 4eme édition du festival des arts du cirque – 31 mai-9 juin 2018.
Sur la presqu’île de Lyon, se déroulait, du 31 mai au 9 juin 2018, entre autre au ravissant Théâtre des Célestins, la 4eme édition du festival des arts du cirque les Utopistes. Etienne Saglio, dit « petit prince de l’illusion 1 », « figure majeure 2», « représentant prometteur 3» du courant de lamagie nouvelle est attendu au tournant. Sous la plume de Valentine Losseau, et le regard de Raphael Navarro, son professeur et inventeur de cette nouvelle magie, sa compagnie Monstres présente LES LIMBES.
Ce n’est bien évidemment pas une première collaboration (Le Soir des Monstres 2009, Repas Magique 2012…). Les 2 hommes, circassiens, sont d’ailleurs dans leurs discours adeptes du nous : cette « constellation d’artistes, famille d’élection, dont les membres ne cessent de se croiser, de s’enrichir mutuellement et de se tirer vers le haut 4 ».
« Expliquer les trucages s’appelle la désillusion
et j’ai envie de préserver les spectateurs de cela 5 »
Un nous que le public est invité à rejoindre dés le début du spectacle qui commence « lumière salle » allumée. C’est donc, juste un gars, cagoulé, tenant dans sa main un manteau rouge et une tête de marionnette. On ne nous ment pas. Et la magie de la proposition est là, dans le fait de s’affranchir dés le départ de la confrontation naturelle entre le numéro et le spectateur qui cherche à déceler le truc : le grand jeu de vous ne m’y tromperez pas. A vue, avec douceur, Etienne et la tête de bois s’apprivoisent, se rencontrent et sans que l’on s’en rende compte, la chose devient plus vivante que la chaire, au point de la dominer. On ne saurait dire à quel moment a eu lieu la bascule.
A présent dans le noir total, tout comme le personnage d’Etienne, guidés par les lumières tout en nuance d’Elsa Revol, sur les cordes d’un Vivaldi sans rides, nous glissons ensemble et sans effroi, dans les ténèbres des Limbes. S’ensuit, du sol au ciel, du frontal au lointain, un grand numéro de dressage de bâche, de reflets et d’ombres, polymorphes, minuscules, gigantesques, disparaissant. Du bout du doigt, d’un simple hochement de tête, à la pointe de l’épée, tout s’articule. Si finement, que l’on ne s’arrête pas au comment. Comme des enfants possédés par l’instant, on ne veut pas savoir si c’est un cyclo à la face, et depuis quand il est en place, si le mirage au lointain est une projection ou un comédien, si un technicien attend tout du long pour jeter ce mannequin des coursives… De toute façon, quelques secondes après sa chute mortelle, voilà que sa poitrine se soulève, qu’il prend vie.
De la vie, encore et encore, insufflée par l’intention du mouvement plus que par le mouvement lui-même, aux choses, aux corps, à nos âmes d’enfants endormis par la suspicion et à la salle chargée d’histoire. Une salle qui a sans doute vu 1000 fois, l’acteur investir l’orchestre, mais plus rarement peut être, une pieuvre abyssale voler au dessus des têtes. Tout près, touchante, une bête qui n’était et ne redeviendra qu’un simple bout de plastique. « Une image qui me travaille intimement peut toucher tout le monde car nous sommes tous habités par des images fondamentales. L’universel se trouve dans l’intime. 6 »
Et ce n’est qu’un homme, ne s’embarrassant pas de mots, ni de performances acrobatiques (le sens et la voltige sont ailleurs) qui nous livre l’épaisseur de ses rêves, un morceau de son univers. Des bribes suggestives qu’il appartient à chacun de compléter selon son regard, selon son propre imaginaire.
Etienne Saglio fait confiance : à ses propres intuitions, qui relient l’enfant de 11 ans qu’il était, sifflant et point levé pour accueillir les buses, au personnage dresseur de balle créé 10 ans plus tard. Mais aussi et surtout à celles du public, capable autant que lui de rêver. Il le nomme d’ailleurs spectateurs, différenciant ainsi la masse productive, d’une salle faite d’émotions singulières. Singulières et néanmoins réunies, le temps d’une histoire, autour d’une intimité partagée qui fait écho à l’homme et devient alors universelle.
A une époque où l’on ne jure que par le numérique, l’innovation de l’effet et le croisement de l’art et des sciences, c’est une libération de se faire avoir, par un résultat, plus que d’être diverti par un mécanisme.
Une idée, le fil d’une inspiration étiré sur 55 minutes et magnifié par la technique et les moyens actuels, pour un tableau épuré dont ne transparait que l’essence d’une magie inconnue.
Etienne Saglio en scène, ne s’emporte jamais et nous transporte au-delà de nos espoirs de spectateurs, même avertis : dans cette proposition, sans artifices apparents, on touche aux possibles d’une réalité autre.
Un et si qui ne fait pas semblant. Un spectacle, à l’instar de nombreux contemporains, dont les images captées ne sont rien face au moment présent. Un artiste effacé, au service de ce monde à faire naître, qui rappelle que l’art est un savoir, une science en lui-même. Lui et son équipe redonnent foi en sa possible évolution, main dans la main et non englouti par les progrès. Et dans le noir quasi-total, on ne voit que la lumière.
SLR
Sézac la Rouge pour VIRAGO
1- Stéphanie Barioz (S.Ba.) Télérama
2- https://www.theatredurondpoint.fr/artiste/etienne-saglio/
3- Propos recueillis par Jean-Christophe Planche en mai 2012 pour les Cahiers du Channel (scène nationale de Calais) http://www.artefake.com/ETIENNE-SAGLIO.html
4- Ibid
5- Ibid 2
6- Ibid
Images copyright E. Saglio