CRITIQUE. « Le triomphe de l’amour » de Marivaux – Mise en scène : Denis Podalydès – Création au Printemps des Comédiens 2018 de Montpellier – Puis du 15 juin au 13 juillet 2018 au Théâtre des Bouffes du Nord – Vu le 9 juin au Printemps des Comédiens à Montpellier.
C’est au cœur de l’Amphithéâtre d’O à Montpellier dans le cadre du Printemps des Comédiens que Denis Podalydès propose « Le triomphe de l’Amour » de Marivaux. Entouré de noms prestigieux comme Eric Ruf à la scénographie, Christian Lacroix aux costumes, Christophe Coin au violoncelle, Denis Podalydès nous offre un Marivaux teinté de tragique où seul finalement l’amour triomphe.
Héritière du trône de Sparte, la princesse Léonide, entrevoit le jeune Agis et tombe immédiatement amoureuse de lui, mais le jeune homme est en fait l’héritier légitime du trône usurpé par la famille de Léonide. Désireuse d’épouser Agis et de lui rendre son trône, Léonide se travestit en homme afin de s’introduire chez le philosophe Hermocrate où Agis a trouvé refuge. Flanqué d’une sœur aussi froide que lui, Hermocrate fait régner dans sa retraite la sagesse et l’ordre, loin de toutes pulsions amoureuses. Pour arriver à ses fins, la princesse va
tour à tour séduire le philosophe, sa sœur et Agis avec la complicité du jardinier Dimas et du valet Arlequin …
Denis Podalydès propose ici un Marivaux des plus classiques dans la forme, une production qui repose avant tout sur une redoutable efficacité non exempte de poésie et d’esthétisme. L’action se déroule sur les lieux de retraite du philosophe dans un coin de marais entouré d’herbes folles et d’oiseaux, sur un fond de brume quasi magique d’où l’on pourrait voir surgir elfes et autres créatures mythiques. Une musique mystérieuse, magnifiquement interprétée au violoncelle par Christophe Coin, enveloppe les comédiens et de subtils jeux de lumières, associés à des tissus chatoyants, peignent de délicats tableaux dans des clairs-obscurs dignes du Caravage.
Sans nous offrir un inoubliable et surprenant Marivaux de par son option très classique, Denis Podalydès touche au but et on ne peut bouder son plaisir à la découverte de ce travail d’orfèvre dont les outils seraient les formidables comédiens entourant cette production. On retient en particulier Dominique Parent dans le rôle désopilant du jardinier Dimas qui, avec son compère Jean-Noël Brouté, entrecoupe la pièce de quelques moments fort drolatiques et, dans un tout autre registre, Leslie Menu qui incarne une Léonide/Phocion d’une incroyable ambigüité du genre et qui parvient, avec peu d’artifices, à nous faire admettre qu’elle peut être aimée du vieux philosophe, de sa sœur et du jeune Agis, voire du tout le public, et ceci quelque soit son genre annoncé.
Une telle affiche, tant sur scène qu’à la réalisation, aurait pu faire espérer un moment plus inoubliable mais l’on peut convenir que Denis Podalydès exploite avec talent et finesse un texte qui, même s’il nous réserve de bons moments et de bons mots, ne permet pas une foultitude de pirouettes décoiffantes. Un spectacle sans aspérités mais néanmoins empreint de poésie, homogène et solide. De la belle ouvrage en quelque sorte.
Pierre Salles
envoyé spécial à Montpellier
Egalement à partir du 15 juin au Théâtre des Bouffes du Nord.
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