INTERVIEW. ERIC OBERDORFF ET LA COMPAGNIE HUMAINE
Le chorégraphe Eric Oberdorff, ancien danseur des ballets de Monte-Carlo, dirige depuis 2002 la Compagnie Humaine, une compagnie de danse contemporaine basée à Nice qui, dans le paysage de la Côte d’azur encore peu structuré en matière d’art chorégraphique, multiplie les chantiers scéniques sur de nombreux fronts.
Le BDO Tribune : Quelle est l’histoire de ta compagnie depuis que tu l’as créée en 2002 ?
Eric Oberdorff : Depuis qu’elle a commencé ses activités, la compagnie développe des projets pluridisciplinaires ambitieux aux thèmes universels plaçant l’humain au cœur de la création. J’utilise une palette étendue de traitements artistiques : écriture chorégraphique pure, images et films, musique contemporaine, voix, installations plastiques, mise en scène, etc. La Compagnie Humaine a plus de vingt pièces à son actif données en tournée en France comme à l’étranger.
Peux-tu en définir le projet chorégraphique ?
Je considère mon rôle de chorégraphe et d’artiste dans la cité comme celui d’un passeur, curieux des hommes et du monde, questionneur de l’identité et de la mémoire, de la recherche et de l’acceptation de soi et de l’autre, témoin attentif des différences qui nourrissent le dialogue social et du vivre ensemble, considérant enfin la diversité comme source de richesse. Aussi le cœur de mon travail artistique consiste à illustrer comment l’être humain parvient à trouver sa place et à exister dans un fonctionnement de groupe.
Pour ce faire, je construis mon travail de création autour de cycles thématiques alternant projets intimistes et d’envergure.
Entre 2013 et 2017, j’ai développé le cycle TRACES, abordant le souvenir, la mémoire, leurs impacts sur notre identité et notre parcours. J’entame un nouveau cycle, UTOPIES, qui explore nos modèles de construction et de développement présents, passés, futurs, réels, imaginaires, qu’ils soient réussites ou échecs. Le projet veut témoigner de nos (in)capacités à nous (ré)inventer, à nous (dés)intégrer individuellement et/ou collectivement : famille, groupe, société, nation, humanité.
Qui sont les artistes de ta compagnie ?
Ce sont tous des artistes singuliers issus de diverses disciplines artistiques et aux parcours et cultures très différents : danseurs, acteurs, compositeurs, musiciens, plasticiens, scénographes, photographes, etc. Ils vivent à Nice ou ailleurs en France et à l’étranger. Je construis les équipes selon le projet, son contenu, sa forme, au service duquel chaque artiste accepte de mettre en priorité son talent et son savoir-faire.
La Compagnie Humaine a reçu une carte blanche du TNN dans le cadre de sa semaine de l’utopie, célébrant en ce mois de mai les 50 ans de 68 ? Quel projet présente la Compagnie Humaine ?
Dans le cadre de cet évènement, Irina Brook m’a invité à imaginer un projet construit à partir d’une série d’ateliers à destination du tout public. J’ai constitué un groupe de treize personnes, treize Utopistes. D’âges divers, avec ou sans expérience de pratique artistique, mais extrêmement motivés, ils ont participé chaque semaine à un atelier de danse ou de chant afin d’apprivoiser leur corps et leur voix. Ils ont également acquis des outils leur permettant une certaine autonomie, dont notamment la capacité à improviser, afin de dépasser les enjeux techniques pour apporter leur contribution à l’élaboration de la pièce « Les utopiste au boulot ». Ce projet contribue au travail de démocratisation de la danse contemporaine et de l’art que mène la Compagnie Humaine depuis quinze ans. Il s’inscrit pleinement dans le cycle de créations UTOPIES.
L’autre projet important c’est une nouvelle création pour le Festival d’Art Lyrique d’Aix en Provence. En quoi consiste-t-il ?
Commande du Festival, « Seven Stones » est un opéra écrit par le compositeur tchèque Ondřej Adámek sur un livret de l’écrivain islandais Sjón. J’ai le bonheur de mettre en scène l’histoire de ce collectionneur de pierres qui nous mène de Buenos Aires à Paris, du Japon en Islande, une histoire universelle qui a la grâce des rêves et la force des cauchemars. Pour ce faire, Pour ce faire, je m’appuie sur les chanteurs du chœur Accentus ainsi que quatre solistes qui sont tous amenés à utiliser de surprenants instruments-décors, certains inventés spécialement. La scénographie et la lumière sont dirigées par Eric Soyer. La première aura lieu le 7 juillet prochain au Théâtre du Jeu de Paume.
La compagnie se produit également à l’étranger comme au Maroc : peux-tu raconter cette expérience ?
Au hasard d’une rencontre, le Directeur de l’Institut français d’Agadir m’a invité à développer un projet de partenariat sur trois ans au moment même où je commençais à monter la production de la pièce « Checkpoint ». Nous sommes donc allés faire des résidences de création à Agadir en 2017 et en 2018. On a rencontré la population et notamment les jeunes à travers une série de d’ateliers et de temps d’échanges qui furent très riches pour toute l’équipe artistique. Je garde un souvenir merveilleux d’un atelier mené dans les montagnes à cinquante kilomètres d’Agadir dans un internat de jeunes filles qui, pour la plupart, découvraient la danse. J’ai également noué un partenariat avec le Festival « On Marche » à Marrakech et intégré une danseuse marocaine à la distribution de « Checkpoint ». Nous avons une tournée programmée au Maroc en 2019 et prévoyons ensuite d’amener la pièce en France.
La compagnie s’engage aussi dans la société en intervenant auprès de publics qui ont peu accès à la danse. Pourquoi et comment se fait cet engagement social ?
Très attachée à la démocratisation de la danse contemporaine, la Compagnie Humaine s’investit dans le tissu éducatif et socio-culturel de son territoire, développant des projets auprès de divers publics, et tout particulièrement les plus jeunes et les personnes en situation de fragilité sociale, comme celles qui sont sous main de justice. Les actions sont menées par les artistes, les techniciens et les administratifs de la compagnie sous des formes très variées: répétitions publiques, ateliers, masterclasses, accueils de stagiaires, enseignement, formation, conférences-débats, expositions, projections, etc. La compagnie travaille également à l’élaboration de créations scéniques ou in-situ à l’attention d’élèves allant du primaire au lycée en partenariat premier avec l’Éducation Nationale. Ils sont aussi l’occasion de collaborer avec d’autres structures artistiques du territoire : orchestres, musées, écoles d’art… Les thématiques abordées sont prioritairement en relation avec l’actualité artistique de la compagnie mais peuvent également toucher des sujets concernant le champ du spectacle vivant ou bien des préoccupations sociétales.
Propos recueillis en mai 2018 par Jérôme Gracchus
Page facebook : https://www.facebook.com/cie.humaine
Image : Compagnie Humaine “Mon corps palimpseste” – © Eric Oberdorff