« À L’OUEST », LE CHAMANISME D’OLIVIA GRANDVILLE

CRITIQUE. « À l’ouest » – chorégraphie Olivia Grandville – vu au Lieu unique, Nantes – le 18 mai 2018.

En te rendant au Lieu unique, à Nantes, tu vas découvrir la dernière création d’Olivia Grandville inspirée d’un voyage au Canada (À l’ouest) qu’a fait en 2017 la chorégraphe — et plus particulièrement des danses amérindiennes.

Une fois assis, tu remarques, placée au centre du plateau, une structure en forme d’igloo à l’intérieur de laquelle se trouve un écran de télévision diffusant, de manière presque un peu documentaires, des images de chutes d’eau et de paysages enneigés, sans doute du grand nord américain. (Plus tard ce seront les images d’une procession — ou d’une manifestation, te diras-tu — célébrant la culture amérindienne. Puis, d’autres images que tu te contenteras d’imaginer car elles seront floutées par la bâche translucide dont on aura recouvert entièrement la structure. À un autre moment, les interprètes, ayant pénétré dans l’igloo, feront glisser leur silhouette le long de cette bâche et y plaqueront leurs mains comme pour y laisser une empreinte).

En fond de scène apparaît une série de textos exprimant auprès d’une interlocutrice canadienne la volonté d’Olivia Grandville d’une « recherche », non pas sur les danses amérindiennes, mais « sur les danses et les musiques natives. »

À cour, un percussionniste bat le tambour du pow-wow. Les pulsations te rappellent, non sans une envie de sourire, le rituel de tes jeux d’enfant, quand tu décidais de jouer « aux cow-boys et aux indiens » (en sachant parfaitement distinguer les bons des mauvais). Tu te souviens aussi des grands westerns classiques que tu as vus à la même époque à la télévision, et, quelques années après, des films ou des documentaires pro-indiens, qui ne cédaient évidemment plus aux archétypes.Tu penses aussi, sans qu’il y ait un rapport direct avec ce que tu vois, à ta lecture du Voyage à Ixtlan de Carlos Castaneda, décrivant l’expérience de l’auteur du chamanisme sud-amérindien. Bien que tu ne sois évidemment pas sous l’influence des plantes psychotropes que consommaient les sorciers mexicains et que décrivait Castaneda, tu t’amuses de ces réminiscences. Et il te semble qu’Olivia Grandville te conforte dans cette manière de se distancier en ayant affublé de noir les cinq interprètes, toutes avec une sorte de pancho frangé, d’une casquette de hip-hop et, accentuant la nudité et la pâleur des jambes, d’après-skis dont on perçoit le bruit suramplifié du crissement dans la neige. Tu vois bien les clins d’oeil qu’elle t’adresse, dans un premier temps.

La pulsation du tambour, envoûtante, va t’accompagner jusqu’à la fin du spectacle. La musique, riche, résolument contemporaine, faite en grande partie d’un assemblage de sons et de voix, rythmera les pas des danseuses. Ces dernières se livrent à différentes chorégraphies, en solo, en duo ou ensemble, à l’unisson ou non. Tu comprends qu’Olivia Grandville a cherché à créer des ponts entre la danse des indiens et celles de l’occident (tu reconnais ici la demi-pointe classique, là un mouvement de bras baroque, et là encore un travail au sol hiphopien) ou les danses d’ailleurs (le tournoiement des Derviches.)

Le tambour continue donc de scander la danse. Les danses.

Dans un premier temps, tu n’es pas insensible à toutes ces variations de mouvements. (Paradoxalement, tu aimes retrouver, comme un leitmotiv, ce geste minimaliste du pied, maintenant déchaussé, dont la pointe frappe le sol — geste aussitôt contredit par une légère impulsion du genou). Mais il n’y a ni sensualité ni érotisme ni effervescence dans cette chorégraphie dont tu ressens seulement la mécanique.

Sensualité, érotisme, effervescence, transcendance… — rien de tout cela qui ne te vienne à l’esprit. Les figures circulaires, le martèlement du sol et la scansion du tambour : rien qui n’exprime la spiritualité d’un peuple, ou sa révolte, ou son oppression, rien non plus qui n’exprime un point de vue, une opinion. Au bout d’un moment, tu te demandes quel est le propos d’Olivia Grandville. Certains sautillements, certains pas de côté, certains crescendos chorégraphiques semblent appeler une autre énergie. Tu espères quelque chose de nouveau quand les visages des danseuses, jusque-là ombrés par les casquettes, se découvrent et font se personnaliser les corps. Dans cette agitation nerveuse des doigts, est-ce une transe qui est suggérée ? Dans ce ralenti soudain, veut-on nous parler de l’intemporel ?

Le problème, te dis-tu, c’est qu’il n’y a pas d’élan, pas de surprise, pas d’intensité dramaturgique — malgré la forte présence de la musique. Les quelques effets de lumières venant des cintres ou de projections colorées dans l’igloo ne font pas sens.

Certes, tu ne t’es pas ennuyé et le bel engagement des danseuses y a été pour beaucoup.

Mais tandis que la musique s’estompe, que les danseuses font face au public, marchant d’une marche qui ne progresse pas, et que de toute évidence la fin se profile, tu te dis que tu as assisté à un exercice de style, intéressant, soigné. Tu n’as presque rien vu des amérindiens d’aujourd’hui. Tu n’as pas non plus découvert une danse très inspirée. Tu n’as pas pu trouver le lien entre ce qu’a voulu dire Olivia Grandville et ce qui se passait sur le plateau.

Tu as assisté à un spectacle de danse, inspiré d’un voyage — un voyage à l’ouest…

Stéphane Leca
Vu au Lieu unique à Nantes, le 18 mai 2018

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