« IN SPITE OF WISHING AND WANTING » : DE LA DANSE MALGRE TOUT

CRITIQUE. «In spite of wishing and wanting» par la cie Ultima Vez – Théâtre Anthéa, Antibes, vendredi 11 mai 2018.

Après la programmation en avril dernier du radical et très réussi « Bestie di scena » d’Emma Dante, l’audace chorégraphique était à nouveau de mise sur la scène du théâtre Anthéa avec la pièce du flamand Wim Vandekeybus « In spite of wishing and wanting » créée il y a presque 20 ans et interprétée par douze danseurs, exclusivement masculins, de la compagnie Ultima Vez.

Cet opus marqua les esprits à sa création, issu de la mouvance révolutionnaire de l’école flamande alors dominée par Jan Fabre qui a largement inspiré Win Vandekeybus dans son goût ultra affirmé pour la danse trash mais aussi le désir d’y mélanger le cinéma et le théâtre.

Qu‘en est-il de cette radicalité vingt ans après ? Force est de constater que le temps et ses modes l’auront largement polie; les deux heures de danse de ce qui devait être une claque pour le spectateur, jouant autant sur le trouble érotique que la violence exacerbée, ont aujourd’hui quelque chose de presque académique. Le résultat de cette maturation est contrasté : là où le chorégraphe se voulait provocateur et hors-champ, la machine se grippe et agace, mais là où il tentait malgré tout d’utiliser une substance chorégraphique plus traditionnelle, elle fonctionne à merveille.

En effet, rien de plus fastidieux que de vouloir à tout prix donner la parole aux danseurs qui, transformés un à un en orateurs, s’adressent au public pour de trop longs monologues sur leurs désirs, leurs angoisses, chacun dans sa langue maternelle. Wim Vandekeybus n’est pas Pina Bausch, et son propre Tanzteater tourne quelque peu à vide : les textes versent souvent dans l’enfantin ou le naïf avec des « moi, je voudrais être un oiseau … » ou bien « mon cœur voilà il est là je le donne…» ou encore « ma main elle a aussi a appris à tuer » ; ils ont bien du mal à éviter le gnangnan ou le ponsif. A cela s’ajoute le fait qu’une fois comédiens, les danseurs ont tendance à se complaire dans l’hystérie, le dérangement et les cris forcés comme si la consigne était de surjouer pour mieux enfoncer le clou ; au final, on n’y croit pas beaucoup et l’on a hâte qu’ils se remettent à danser au plus vite.

L’autre dispositif censé être « hors norme » et signant le génie de son auteur touche-à-tout, consiste en deux séquences « cinéma » d’un court-métrage réalisé par le chorégraphe lui-même et inspiré par deux nouvelles de Coltazar et Bowles ; défilées sur grand écran pendant que les danseurs se reposent dans l’obscurité, elle imposent à chaque fois dix longues minutes d’une esthétique appuyée, baroque et barrée mais quelque peu caricaturale, imitation déformée de maîtres du grand écran tels Fellini ou Greenaway, et dont la folie carnavalesque finit par sonner faux et laisse de marbre. Spectateurs involontaires, on se dit à quoi bon vouloir chercher dans ces images filmées un exposé d’idées pour délivrer un message philosophique ou poétique alors que l’art de la danse peut faire le job tout seul. Au bout d’un moment on soupire d’agacement et on voudrait que les vrais corps et leurs mouvements reprennent au plus vite leur droit sur scène. C’est ce qu’heureusement ils finissent par faire, redonnant le plus naturellement du monde une énergie et une beauté sincères, directes, explicites sans la béquille d’un écran ou de mots superflus.

Malgré donc ces artifices scéniques peu utiles et un brin prétentieux, la danse est là et bien là et pour un chorégraphe qui a souvent mis en avant son dilettantisme en matière de danse, on ne pourra que s’étonner qu’il ait conçu un ballet d’une telle beauté et intensité, et ce dans les règles de l’art. Soutenues par l’admirable bande-son de David Byrne que l’ex-leader des Talking Heads a composée spécifiquement pour la pièce, ce sont cinq à six grandes plages qui font littéralement tournoyer jusqu’à épuisement douze danseurs athlétiques et acrobatiques, qui étirent et répètent leurs gestes jusqu’à leur extrémité, alternant démonstration de force et de délicatesse (surtout dans les portés), jouant presque simultanément sur la rapidité et la lenteur, sur l’énergie et le relâchement, tout cela avec une précision et une fluidité impressionnantes. Habités et inspirés par leurs propres mouvements, ils excellent quand ils traversent la scène en chevaux fougueux, transforment leurs tangos timides en danse hypnotique de la fouille (un thème que Pina Bausch avait aussi utilisé dans son « laveur de vitre »), ou bien s’envolent en décollant littéralement du sol dans la pièce du sommeil tout en prenant avec grâce des poses inspirées du hip-hop.

Aussi uns fois mis de côté ses fioritures baroques et servie par de vrais danseurs virtuoses, « In spite of wishing and wanting » apparaît comme une des très grandes pièces du répertoire de la danse contemporaine qui n’est jamais aussi belle et puissante que lorsqu’elle cultive simplicité et épure.

Jérôme Gracchus

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