CRITIQUE. « Love & Money » de Dennis Kelly ; mise en scène : Julien Rombaux ; assistant à la mise en scène : Alexis Garcia ; avec : Sarah Espour, Gwendoline Gauthier, Sarah Lefèvre, Magali Pinglaut, Cédric Coomans et Philippe Grand’ Henry – Théâtre de Poche, Bruxelles, jusqu’au 5/05/2018
La pièce :
L’icône de la Vierge Marie, énorme. C’est là le seul décor pour le spectateur à peine installé dans la salle. Que peut vouloir dire cette entrée en matière avec un sujet tel que Love & Money ? Philippe grand’Henry (père de Jess) va surprendre le public, dès son entrée, au-delà de ce que l’on peut imaginer. Vous voilà avertis, ça commence fort ! Autrement dit : bousculés, on va l’être, ça c’est sûr, tout au long de ce spectacle inattendu.
Londres : David (Cédric Coomans) et la sensible Jess (Sarah Espour), forment un jeune couple marié, endetté jusqu’à la moëlle. C’est leur histoire qui va nous être contée, dans le désordre. Amour et argent, argent ou amour, amour ou argent. Quelle est la place que nous réserve la société d’aujourd’hui, et comment réagir sans tomber dans les pièges et en sortir indemne… ou pas ? Les sentiments de Sandrine (Gwendeline Gauthier) pour David (jeune française rencontrée lors d’un congrès) et la réalité d’un drame qui lui sautera à la figure. Quelle sera sa réaction après les emails de David, lui racontant une vérité pure, dure, sans détours, dans les moindres détails ?
Dans un cimetière, les parents d’une jeune fille (Philippe grand ‘Henry et Magali Pinglaut), se sentent violentés par le luxe de la tombe qu’un veuf grec a fait ériger pour sa femme. Ensevelie juste à côté, leur fille, elle, repose sous une simple pierre surmontée d’une croix. Leur réaction va être étonnante. Peut-on la comprendre ? Qu’aurions nous fait ou pensé à leur place ? Peut-on juger ? Ou simplement, comprenons-nous les sentiments mêlés à la profonde émotion qui les habite ?
David, à la recherche désespérée d’un emploi pour payer ses dettes, se retrouve face à une femme d’affaires, Val (Sarah Lefèvre), on ne peut plus cynique (ou est-ce de la vengeance ). Jusqu’où sommes-nous prêt à aller pour les besoins d’une vie où la consommation est presque une urgence ? Il va se confronter à la dure réalité du monde du travail et l’obsession pour l’argent.
« Vivre pour travailler ou travailler pour vivre » ? ; « Combien de temps passe-t-on au travail ? » ; « Doit-on croire en ce que l’on fait ? » ; « on essaie tous de remplir des vides » ; « pauvreté » ; « richesse ostentatoire » ; « est-ce qu’on fait partie les uns des autres ? » « Business, emprunts, taux, actionnaires, naïfs, existence : où est le réel et l’irréel ? ». Autant de questions abordées qui percuteront ou plongeront les spectateurs jusqu’à dans leur vie, leur ressentis, ou le vécu dans leur entourage.
Une mise en scène réussie du jeune et talentueux Julien Rombaux, à la fois metteur en scène, comédien (également doublage), réalisateur de courts-métrages, bientôt d’un moyen métrage.
Un texte de l’auteur contemporain anglais Dennis Kelly. Excellent. Il quitte l’école pour travailler dans un supermarché pour découvrir plus tard le théâtre à l’âge de 20 ans. Et bien, heureusement ! Car on ne peut qu’être conquis. Provocateur, amateur de l’esthétique « In-yer-face », il conjugue différents styles : dramatiques, crus, et contemporains. Il reçoit le John Whiting Award pour « Take in Care Baby » en 2007 ; crée «Oussama, ce héros » (2005), raconte l’histoire de Gary, un adolescent marginal penchant vers le radicalisme. Ou encore : « Mon prof est un troll » : Deux élèves qui font tourner leur institutrice en bourrique et vont se retrouver avec un nouveau directeur : un troll qui règnera sans pitié sur l’école. Pour ne citer que ceux-là. Mais ce n’est pas tout puisque Dennis Kelly touche aussi au cinéma. Élu meilleur auteur dramatique en 2009 par la revue Theater Heute (revue allemande. Ces œuvres sont, du reste, régulièrement traduites dans cette langue).
Remarquables comédiens qui nous font passer du rire à l’étonnement, abordant tous les sujets avec un naturel bluffant. Ils sont, ils vivent les personnages. Proches du public, ils échangent avec lui, en totale fusion ; interrogent les spectateurs. De véritables équilibristes sur des sujets graves et complexes. Le tout dans un humour noir, peut-être, mais éclairant. On ne peut que dire : bravo !
Même si une certaine lenteur, voulue sans doute, peut en faire décrocher certains, il n’en reste pas moins qu’on reprend le fil assez rapidement grâce à l’excellente interprétation.
« Love & Money » : j’y vais.
Julia Garlito Y Romo,
à Bruxelles
Une coproduction du Théâtre de Poche, du Théâtre de l’Ancre et de la Maison de la Culture de Tournai.L’Arche éditeur est éditeur et agent théâtral du texte représenté ww.arche-editeur.com