CRITIQUE. Concert des Forever Pavot au 109 à Nice, vendredi 20 avril.
C’est un vendredi soir d’avril, l’air est tiède et l’ambiance aussi : une faune niçoise assumant sa quarantaine passée attend gentiment dans l’enceinte du 109, ces anciens abattoirs municipaux qui dans leur jus de bêton reconverti programme des performances artistiques d’avant garde, des expositions pointues ou des sorties de résidence locale de plasticiens, de théâtre, d’art vidéo, de musique actuelle ainsi que des soirées électro branchées, tout cela dans un quartier populaire très éloigné du maelstrom touristique au terminus de la ligne de tramway.
Ce soir là, le 109 a ouvert un de ses « frigos » à un des groupes les plus intéressants de la nouvelle et prolifique scène pop française : voici donc les cinq très chevelus et barbus compères de Forever Pavot avec leur tête pensante, le génial autodidacte Emile Sornin, apparissant sur scène telle une étrange réincarnation physique de Rodger Hudson, le chanteur clavieriste leader des feu Supertramp.
Après une première partie jouée par un excellent trio de rock low-fi local « The Landscape Tape » très apprécié du landernau garage niçois, les Forever Pavot ouvrent une heure de concert retro-psyché vivifiante servie avec une incroyable décontraction par cinq musiciens qui sont ultra à l’aise dans ce répertoire musical pourtant très élaboré, sophistiqué, voire virtuose où tout est joué à la main sans bande (excepté quelques voix off) ni boucle ni ordinateur, laissant une belle place à l’improvisation digne du meilleur jazz fusion.
Les premiers accords d’orgue du titre « père » introduisant le concert sonnent comme une toccata furieuse, saisissant l’auditoire qui ne s’attendait peut-être pas à une telle puissance de jeu. Au programme, l’essentiel du dernier album « La pantoufle », ingénieuse plongée dans une psyché cinématographique très française qui n’est pas sans évoquer les univers de Vannier ou de Roubaix, et où plane immanquablement l’esprit du Gainsbourg de Melody et du Pacha. Comme ses aïeux des années 70, le public entre très vite en transe, cols roulés orange et LSD en moins. Les morceaux s’enchaînent en plages surtout instrumentales (les voix se fondant dans les couches) sur un groove hallucinant auquel il est difficile de résister, et qui entre naturellement en résonance avec le besoin de mouvement des corps. Bref, un truc littéralement tribal et sauvage dégageant une énergie folle. Ici il faut saluer une solide et infaillible section rythmique avec Nicolas Desse imperturbable à la basse et François Desmoulins à la batterie précis comme un horloger suisse. Ils forment à eux deux une véritable tour de contrôle pour le reste du groupe qui peut alors décoller sans inquiétude dans ses multiples envolées lyriques : depuis le clavecin fou et les ondes Martenot scoubidouesques d’Emile Sornin («la belle affaire » leur rendant d’ailleurs hommage), les wah-wah de guitare étirés jusqu’à la corde par le toujours souriant et remuant Antoine Rault, jusqu’aux mélopées Moody blues de la flûte traversière d’Arnaud Sèche, également percussionniste inspiré.
Transcendé par un plaisir de jouer communicatif, le groupe se permet alors toutes les fantaisies. Il transfigure là les Pink-Floyd, ici les génériques des séries télé vintage telles Vidocq, les chevaliers du ciel ou Chapeau Melon et bottes de cuir (version Purday et Gambit) ou encore les ambiances western, coups de flingues à l’appui («Miguel el salam»), et même un certain esprit hip-hop (« le beefsteak »). L’apothéose se fait au rappel avec l’expérimental et progressif « cancre » qui hypnotise le public (ralliant les derniers réticents au délire général) dans une orgie psychédélique d’un bon quart d’heure qui n’est pas sans rappeler les meilleurs performances rock progressif de groupes comme Genesis ou de Yes à leurs débuts, menant gaiement mais surement à une forme d’orgasme musical collectif.
Certes cette école du néo-psychédélisme à la française a d’autres interprètes très talentueux comme Dorian Pimpernel ou le collectif Aquaserge (avec lequel Emile Sornin collabore); elle a aussi de précieux prédécesseurs comme Stereolab qui a rouvert la voie au tournant des années 2000. Mais reconnaissons que Forever Pavot fait preuve d’un génie impressionnant en concert doublé d’un esprit bon enfant et potache très appréciable qu’il partage avec son public ; puisse-t-il les conserver forever! La stupéfiante tournée continue au printemps avec plusieurs dates dans l’est et le nord de la France puis un retour au bercail parisien en juin.
Jérôme Gracchus