CRITIQUE. « Les enfants de Dom Juan » de Gennaro Pitisci et Sam Touzani ; Mise en scène de Gennaro Pitisci ; collaboration artistique: Ben Hamidou et Nacer Nafti ; Jeu : Ben Hamidou et Sam Touzani. A l’Espace Magh, 17 rue du Poinçon , 1000 Bruxelles – Jusqu’au 5 mai 2018 (réservation obligatoire).
La scène : un théâtre, ou plutôt, dans une pièce à l’arrière, aménagée d’un sofa, une table et deux chaises. Nordine (Ben Hamidou) en est le concierge depuis une vingtaine d’années. Il entre chargé d’un sac alors que la radio annonce les récents évènements provoqués par un attentat terroriste. Lassé et irrité, Nordine essaie de l’éteindre lorsque la voix du directeur du théâtre de quartier s’adresse à lui à travers l’interphone. Avec son accent bruxellois, il annonce au pauvre homme qu’il va être privé de vacances, décision du conseil, pour cause de dégâts, (dont il est supposé être l’auteur) et qu’il est, non seulement, chargé de réparer durant le mois des congés d’été, mais il devra, en plus, s’occuper d’un artiste qui logera au théâtre durant toute cette période. Choqué et surpris, Nordine essaie de négocier et supplie de le laisser partir au pays pour les congés -tradition incontournable- plus par crainte des réactions de son épouse Zora, que de renoncer au voyage. Ce n’est que le début, et le public rit déjà de bon coeur. Le ton est donné.
L’artiste en question, c’est Pierre (Sam Touzani). Il entre en scène avec un dynamisme joyeux et optimiste ce qui a le don d’irriter le concierge obligé de s’occuper de lui. Engagé dans le cadre d’un projet « Réapprenons à vivre ensemble », Pierre doit préparer un spectacle pour les habitants du quartier racontant l’histoire de Dom Juan, le terrible séducteur, athée, rebelle et sans scrupules. Le célèbre personnage n’est pas choisi au hasard : Nordine n’est pas au bout de ses surprises (et le public non plus d’ailleurs). Pierre va l’aider, mais en échange de quoi et pourquoi ? A découvrir.
Une comédie jubilatoire qui traite de sujets graves sans jugement : la religion, l’homosexualité, les relations homme/femme, l’infidélité, les traditions, l’intégration, les mentalités, la politique, l’athéisme, l’amour, la fraternité.
Une surprenante mise en scène du belge Gennaro Pitisci, également auteur, scénographe et éclairagiste. Formé à l’Institut National des Arts du Spectacle, il collabore dès 1985 avec plusieurs théâtres pour adultes et des compagnies spécialisées dans le secteur jeune public. Metteur en scène permanent au Brocoli Theâtre, il crée de nombreux concepts d’animation au sein des écoles, entre autres. Il met en scène Sainte Fatima de Molem, co-écrit avec Ben Hamidou, ou encore « La Civilisation, ma Mère ! Gennaro est un artiste contemporain qui mérite certainement le détour, on ne demande qu’à le suivre !
Collaborateur artistique : Nacer Nafti, artiste de théâtre contemporain, directeur de l’asbl Tremplins, également co-auteur de « Gembloux, à la recherche de l’armée oubliée », pour ne citer que cela.
Deux excellents comédiens, complices, qui n’en sont pas à leur première collaboration (« Gembloux, à la recherche de l’armée oubliée (2004 au KVS, par le Brocoli Theâtre, mise en scène Gennaro Pitisci et co-écrit par Ben Hamidou et Nacer Nafti):
Sam Touzani, aux multiples casquettes, tour à tour comédien, danseur-chorégraphe, auteur et metteur en scène. Membre fondateur de l’Espace Magh. Un touche-à-tout, rebelle lucide et engagé. Optimiste, il a de l’énergie et des idées à revendre. Sur les planches depuis l’âge de douze ans, il n’a pas fini de nous étonner. Créatif à souhait, humaniste, athée, républicain et « loin d’avoir la langue dans sa poche », Touzani fera l’objet (notamment à travers les réactions de belges d’origine marocaine, mais pas seulement) de nombreuses critiques, de boycott, de menaces et même d’agression à la sortie de ses spectacles pour ses idées, sa liberté d’expression, son audace : « Pour moi, l’humour est un magnifique moyen de lutter contre la bêtise humaine » dit-il. Extrêmement sympathique et sociable, ouvert à souhait, Sam ose, tant sur scène que dans les médias: il parle, il exprime ce qu’il pense et il a bien raison !
Ben Hamidou, originaire d’Algérie, également auteur, directeur de projets joués dans plusieurs pièces au Brocoli Théâtre (voir ci-dessus) ; responsable de l’asbl SMONERS à Molenbeek (Centre de médiation culturelle notamment avec les jeunes du quartier), entre autres projets tout aussi intéressants les uns que les autres. Pour ce spectacle, le respecté Ben Hamidou ose monter sur scène, après une réflexion longue de dix ans. Il passe au-dessus des critiques qui comme pour Sam, l’ont éclaboussé. Lorsqu’il n’est pas sur la scène (souvenez-vous , le BDO a suivi « Printemps Noir » au théâtre des Martyrs), on retrouve Ben au cinéma : dans les « Barons » de Nabil Ben Yadir ou l’inspecteur Ben Hamidou dans le film des Frères Dardenne. Talentueux, intelligent, Ben n’a pas fini de nous surprendre.
Excellent texte. Rafraîchissant, divertissant, tendre, émouvant, mais surtout une réalité : « Les enfant de Dom Juan »: « Une comédie, pour dire sur scène ce qui dans la vraie vie, pourrait créer une bagarre » peut-on lire. Pour le dire, ça ils le disent, mais de manière agréablement surprenante, intelligente, pleine d’humour et d’autodérision ; et surtout, avec l’art d’ouvrir les consciences vers une nécessité du vivre ensemble en toute amitié, sans préjugés, sans « enfoncer le clou ».
Pour que l’ADN ne soit plus uniquement une question génétique qui nous révèle nos origines, mais également un mécanisme automatique de la pensée qui aime et accepte que nous sommes toutes et tous égaux quelque soit nos différences, tout simplement :
« Les enfants de Dom Juan » : j’y vais, j’y cours !
Julia Garlito Y Romo
à Bruxelles
Outre la pièce jouée en soirée à l’Espace Magh, il y a des représentations scolaires le mercredi 2/5 à 10h00 et vendredi 4/5 à 14h00 (gratuit). Un dossier pédagogique est également disponible sur demande.
Recommandé : lire l’origine du projet et le fil rouge qui a inspiré le spectacle « Les enfants de Dom Juan » . Une histoire dans l’histoire. Écrite il y a dix ans et jouée aujourd’hui… Ben, Sam, Gennaro, Nacer : Et pourquoi pas une pièce ?