CRITIQUE. « Combat de nègre et de chiens » de Bernard-Marie Koltès – mes Thibaut Wenger – avec François Ebouele ; Thierry Hellin ; Fabien Magry et Berdine Nusselder – Théâtre Varia – 1050 Bruxelles (Ixelles) – jusqu’au 05/05/2018 – 20h30 (les mercredis à 19h30) Durée du spectacle : 2h20.
L’histoire :
À peine installé dans la salle, le public sent déjà que quelque chose de particulier va se passer. La salle est enfumée tel un brouillard planant sur la tête des spectateurs, rendant difficile d’imaginer le décor qui se tient derrière cette brume inquiétante. L’obscurité totale s’installe alors et petit à petit fait découvrir un lieu étrange et inquiétant. Dans ce qui semble être une forêt, un chantier public, sous un pont en construction, quelque part en Afrique. Une entreprise française qui va bientôt fermer et où résident le chef, Horn, et son ingénieur, Cal. Et puis il y a Alboury. Un autochtone qui s’introduit dans cet antre des Blancs, gardé par des Noirs armés. Alboury apparaît dans l’ombre, calme, intriguant, subtil et intelligent, aux phrases poétiques mais sans mâcher ses mots. Il vient tout simplement chercher le corps de son frère, mort sur le chantier, la veille. Accident ? Meurtre ? Va-t-il le récupérer ? C’est ce que Horn va tenter de négocier moyennant argent. Cal en mal de vivre, aux idées glauques, instable et colérique, l’arrivée de Léone, future épouse du chef d chantier, Alboury qui apparait et disparaît, Horn jouant avec les mots, bref une ambiance électrique. Léone, fraîchement débarquée de Paris, légèrement vêtue de paillettes, à la fois douce, rebelle et perturbée, va bousculer ce monde d’hommes et de violence.
Choc des cultures, amour, violence, mystères, combats et recherche de soi, un cocktail qui éclate au son de la pluie et de la nuit ; des ventilateurs et du bruissement des feuilles, jusqu’aux aboiements de chien, le tout sur fond de musique donnant le frisson.
Remarquable mise en scène de Thibaut Wenger, également acteur, instigateur et directeur du Festival Premiers actes. Il commence sa carrière à l’âge de six ans en devenant assistant pour un clown russe dans la Vallée de Munster. Il s’intéresse aux auteurs allemands (Von Kleist, Müller, Büchner – il se fait d’ailleurs remarquer avec « Woyseck » de ce dernier -). Diplômé de l’INSAS, en Belgique, Wenger aime jouer avec les limites, il aborde les sujets de complexité entre genres (culture, le rapport homme/femme où se mêlent trahison, rupture, argent…).
Les comédiens, excellents : François Ebouele (également metteur en scène) dans le rôle d’Alboury, donne le frisson ; Thierry Hellin, le chef de chantier Horn, plus vrai que nature, fort ; Fabien Magry, l’ingénieur et instable Cal, génial ; et la belle néerlandaise Berdine Nusselder, bluffante dans le rôle de Léone.
« Combat de nègre et de chiens » un texte du dramaturge Bernard-Marie Koltès (1948 – 1989) écrit en 1979 après un voyage en Amérique latine. Originaire de Metz, il fut également journaliste dans sa jeunesse et monte sa propre troupe de théâtre en 1970 : « Théâtre du Quai ». Une de ses nombreuses pièces « La Nuit juste avant les forêts » sera d’ailleurs montée, par lui-même, au Festival off d’Avignon en 1970. Koltès considère le dialogue comme un argument, son désir est « de faire apparaître un sens caché » ; les relations humaines sont le centre de ses écrits. Ses voyages à travers le monde le marquent et influencent son théâtre. Ses œuvres sont traduites dans une trentaine de langues. Il est joué partout dans le monde. Quelques-unes de ses nombreuses œuvres : Les Amertumes ; l’Héritage ; Le jour des meurtres dans l’histoire d’Hamlet ; Dans la solitude des champs de coton ; Le retour au désert…
« Combat de nègre et de chiens », à voir certainement, quand bien même les 2h20 de spectacle peuvent paraitre un tantinet trop longues. J’y vais !
Julia Garlito Y Romo
Un spectacle de Premiers Actes ASBL. En coproduction avec le Theâtre des Martyrs-La Servante, la Filature-Scène Nationale de Mulhouse, le Relais Culturel Régional de Thann. Créé le 7 octobre 2016 au Theâtre des Martyrs (pièce publiée aux éditions de Minuit-1990).