CRITIQUE. Festival Mythos – 22e édition – du 17 au 22 avril 2018, Rennes – journée du 22 avril.
Il y a quelque chose d’estival dès notre arrivée à Rennes… Est-ce ce soleil radieux, cette chaleur intense ou simplement le second week-end de la 22ème édition du festival Mythos qui rend la ville euphorique avec, en point d’orgue, le concert de Beth Ditto, en solo… Allez savoir ?
Le fait est que, dès les premières heures de l’après-midi, les festivaliers ont pu se régaler de plusieurs spectacles dont celui de Yannick Jaulin.
Le Vendéen heureux.
Egal à lui-même, Yannick Jaulin, accompagné du musicien-troubadour Alain Larribet, deux bonnes têtes de plus que le célèbre défenseur des langues des terroirs. Jaulin, qui n’a pas son pareil pour mettre le doigt là où ça fait mal a, pour se sentir moins seul sans doute, invité ce musicien multi-instrumentiste qui apporte quelques savantes coupures à l’exposé des motifs de cette nouvelle saillie à propos de la langue maternelle de l’auteur qui, il le pressent si on ne fait rien, va l’empêcher de parler d’amour…
Musique donc mais aussi grands penseurs, grands auteurs, citations de Claude Duneton ou Alain Bentolila, qui le conforte dans son combat. Et puisqu’on est à Mythos, Yannick Jaulin, raconte… Son chez lui, son patois… Mais « parler une langue, oui, mais avec qui » se demande-t-il ? A fortiori » une langue minoritaire ». Jaulin chemine encore – et toujours, mais il faut bien que quelqu’un qui s’y colle ! – dans ce qui a mal tourné. Il donne quelques dates. Il rappelle que Clovis, présenté comme le chef des Francs et de leur langue, ne la parlait pas ! Il redit tout le mal qu’il pense de la volonté de Richelieu de rayer d’un trait 50 000 mots de la langue française. Il cite le paradoxe de Rivarol qui remporta un concours de langue française ou l’Abbé Grégoire et son discours de 1793 sur la transcription de la langue noble, de la cour et de la diplomatie : le français, de l’élite vers le peuple afin de la rendre » nationale » sans se douter que les patois allaient, de fait, tomber dans l’oubli ou dans la sphère très privée, finalement sauvés par quelques citoyens difficiles à convaincre de lâcher leurs mots anciens et bien charnus pour une langue sans jambe, la preuve, la Marianne dans les Mairies ça n’est qu’un buste ! Et c’est pourquoi, selon Jaulin, le Français « ne s’incarne pas ». Imparable.
Dans son combat, ancien et logique, Yannick Jaulin semble avoir été entendu par le nouveau Ministre de l’Education Nationale qui compte remettre en place l’oralité puisque oui à l’écrit mais stop à sa prédominance. Constat amer du Ministre, nos jeunes pousses ne savent plus s’exprimer, c’est le moment de glisser un peu de langue des terroirs, de redonner sa place à une tradition qui va disparaître et ça n’est pas Claude Duneton dans Parler croquant qui va démentir Jaulin ou le Ministre.
Une petite heure pour retrouver les topics de Jaulin, ses combats pour être « moins seul » et, par conséquent, « moins idiot ». Une petite musique bonne à entendre, des moments de pure sophisme… Un petit plaisir qu’on ne boude pas…
Le souffle coupé.
On reste dans la petite salle de la Parcheminerie pour assister à Cent mètres papillon, un monologue aquatique magnifiquement interprété par Maxime Taffanel et mis en scène par Nelly Pulicani.
C’est simple, Larie à 16 ans et depuis son plus jeune âge, avec son père, il se confond avec l’eau. Il est même un enfant amphibie qui slalome sans difficulté dans cet élément duquel il retire une musique, sa musique. Il n’en faut pas plus pour que Larie se lance dans la compétition. Tout marche bien pour lui : médaille, chronos, succès… Puis la chute… Vertigineuse… Sans retour… La fin de son histoire avec l’eau.
Dans sa veste de survet bleue, rayée blanc, son pantalon de sport noir et ses baskets blanches toutes simples, on voit tout de suite que non seulement Maxime Taffanel est habité et qu’il sait de quoi il parle. Il faudra attendre sa montée sur un plot imaginaire pour constater qu’avec ce physique, la natation n’est pas pour lui qu’une métaphore et ça se sent ! Il est juste. Il donne sans s’exhiber. Il parle en connaissance, en connaisseur surtout. Il vit cette performance, mais il n’est pas débordé par elle. Alors cette eau « il la boit des yeux » mais il donne surtout à voir la passion, l’abnégation. Quelques longueurs et redites qu’il faudrait que Nelly Puliciani coupe un peu sans craindre de dénaturer le propos et ce sera parfait…
Bon sang ne saurait mentir, le fils de la chorégraphe Jacky Taffanel est dans le grand bain et c’est tant mieux…
À voile et à vapeur.
L’église St Etienne accueillait ensuite Ramkoers du groupe Bot, un concert d’objets. Hilarant et foutraque. Comment décrire ce qui est plus une expérience qu’un simple concert tant Ramkoers part dans tous les sens et donne à voir tant d’hallucinantes machines à musique ? Si vous avez déjà vu des concerts des Tambours du Bronx, il y a de ça dans ce spectacle, les percussions sont très présentes, du moins un bidon qui sert à faire entrer en scène le chanteur… Vous voyez le genre… Ensuite, les bandonéons marchent, les pianos roulent. Un concert un peu Métal commence. Voix rauque du type qui ne suce pas que des pastilles bio au miel… Ça alterne avec le mégaphone et le micro… Les sonorités sont néanmoins harmonieuses même si le flamand nous empêche de comprendre le message (on aurait pu sur-titrer !), mais la musique est bonne et belle… Souvent. C’est plein d’une énergie communicative qui passe dans le public qui se laisse porter par les pulsations, applaudit à tout rompre mais aussi contemple, regarde cet incroyable amas d’objets modifiés, transformés, déviés, dévoyés même… Une poésie s’empare et s’exprime… Il ne manquerait pas grand chose pour qu’on soit vraiment rassasié, mais l’expérience est intéressante. La communion avec l’équipe totalement barrée aussi. C’est l’essentiel.
Oh my god#OMG !
Fin de soirée épique à la Parcheminerie avec Blanche Gardin qui revient avec un troisième spectacle En test, la brochure précisant : « pour adulte seulement ». Sage précaution, parce que c’est peu de le dire que ça décoiffe… C’est cru, c’est dit sans ménagement ni hypocrisie. C’est sans précédent presque… Sous des airs de Marina Foïs (la voix, ce côté détaché qui dit bite comme on dit sac à main ! qui l’a rendue célèbre dans Les Robins des bois), Blanche Gardin fait cette fois-ci une annonce et un constat premièrement elle ne va pas parler sexe, enfin pas dans les 15 premières minutes, et selon elle, « on parle trop », tout le temps et finalement « le monde n’a pas besoin d’être évalué » ni elle surtout qui réclame qu’on ne lui laisse pas de note sur un site de vente de billets de spectacles en ligne ! Pas la peine non plus de lui parler ou même de lui offrir un stabylo-gomme, elle n’en voit pas l’usage.. Il faut dire, pourquoi mettre du fluo sur un mot, une phrase si c’est pour le gommer… Pas faux !
Blanche Gardin parle crûment de sexe comme Desproges parlait (mal) des juifs… Elle part de constats simples mais les manipule, les articule, les emboite de façon si improbable, si peu commune que c’est drôle, mais infiniment drôle… Enfin, il faut aimer. Cette petite bonne femme, avare de gestes dans sa robe façon tableau de Kandinsky qui coupe à la hache toutes les idées reçues de la bienséance, les phrases bien organisées et qui décrit la joie de l’Homme bandant, sa satisfaction de « maîtriser son chibre » !
Et puis Blanche Gardin, c’est le bon sens près de chez vous, des consignes pourtant simples à respecter. Elle n’aime pas le futur. Elle le sait » c’est la haine qui gagne toujours. Et bien pire, « s’il t’arrive un truc moche : ne t’en souviens pas… C’est mieux », bien mieux pour vivre heureux…
Et finalement, il y a une logique à cette journée puisque Blanche Gardin le dit elle-même, presque pour appuyer le malheureux constat de Yannick Jaulin en début de journée le mot « catin » est un mot mort. Et ce n’est pas les vaines tentatives de Mylène Farmer ou même de Jaulin qui vont le ressusciter. Mythos, décidemment, un festival plein de bon sens !!!
Emmanuel Serafini
Image : Ramkoers au Festival Mythos 2018