EXPOSITION. René Char. L’homme qui marche dans un rayon de soleil – du 23 mars au 10 juin 2018 – Musée Angladon – Avignon.
Le Festival d’Avignon : c’est une idée de poète…
Il était donc bien utile de débarrasser le dernier étage du Musée Angladon de ses archives poussiéreuses et des vestiges anciens des Angladon qui accumulaient, en plus de l’héritage de leur ascendant le couturier Jacques Doucet, quelques objets de leur propre passion, pour laisser place à un tout nouvel espace d’exposition. Nous avions pu y voir l’année dernière une rétrospective appréciée de Raoul Duffy. Nous y découvrons cette fois-ci une exposition liée à René Char, LE poète éternellement lié à Avignon et à son Festival comme à sa région où il a habité et dont il a tiré ce recueil « Aux riverains de la Sorgue ». Tout un programme !
Ce qui frappe d’abord dans cette accumulation de poèmes et d’oeuvres qui y sont liées, c’est que, fidèle à ses idées de liberté et d’absolu, René Char n’a rien publié entre 1938 et 1945. Ainsi, il n’a donné prise à aucune possibilité de compromission ou de critiques sur une ambiguïté possible. Rien qui puisse lui être opposé ensuite ou qui lui soit reproché. Particulièrement singulier pour être signalé, retenu même et qui peut suffire à justifier cette magnifique exposition.
Si le poète rigoureux, engagé, amoureux de sa Provence qui l’inspire et à laquelle il rend sans cesse hommage n’a pas publié, cela ne veut pas dire qu’il n’a rien écrit, ni rien fait et il suffit de prendre le temps et de se pencher sur les différents feuillets de sa correspondance qui figurent dans l’exposition pour ressentir le bouillonnement dans lequel il était à cette époque, sa soif de sortir de cette période trouble et de contribuer à l’éclosion d’un autre monde que celui de l’occupation et de la collaboration.
Autre plaisir de cette exposition, c’est sa dimension humaine, puisque bien que recélant des trésors comme des Degas, Picasso ou Modigliani, le Musée Angladon est un Musée à taille humaine où l’on peut, pièce après pièce, contempler et rêver devant chaque toile, voire chaque poème reproduit sans être bousculé, gêné par le bruit ou les poussettes (ça arrive !)…
Dans la première salle, une large place au « Marteau sans maître » poème qui laissera une trace dans l’Histoire de l’art aussi grâce à l’œuvre de Pierre Boulez, tout jeune homme et qui a décidé, bravache, de le transcrire en musique. Lui-même disant dans une vidéo passionnante dans l’exposition sa parfaite inconscience de faire à Vingt quatre ans de la musique sur une œuvre aussi magistrale ! S’expose aussi quelques eaux fortes de Miro (1976) illustrant le poème. Il émerge déjà cette impression de plénitude, de calme dès les premiers instants dans cette partie de l’exposition qui va prendre tout son sens avec tout ce qui concerne « L’homme qui marchait dans un rayon de soleil », titre de cette exposition. Publié aux Temps Modernes en 1949, ce poème – et tout ce qui s’en inspirera – fini d’asseoir la réputation grandissante de Char dans le monde des arts. Pour preuve, des artistes comme Nicolas de Staël qui s’inspire de « Arrière histoire du poème pulvérisé » (1953 )…
Son séjour à Buscalats dans le Vaucluse dès 1965 va donner naissance à « Retour amont », une œuvre qui aurait dû être illustrée par Giacometti pour son édition mais dont on ne découvre que quelques esquisses, le sculpteur n’ayant pas eu le temps de terminer cette série avant sa mort… touchant.
En dehors des poèmes eux-mêmes, l’importance de René Char dans notre imaginaire tient aussi aux titres de ses poèmes comme « Poème pulvérisé » (1947), « J’habite une douleur » (1947), « L’homme révolté » (1951) …
Ce qu’on comprend mieux avec cette exposition, c’est la grande connivence entre René Char et des peintres tels Victor Brauner, Valentine Hugo mais surtout Georges Braque – avec « La Bibliothèque est en feu » (1956 ) ou « Lorsqu’il peignait » et de Maria Helena Vieira Da Silva et sa célèbre « La bibliothèque de René Char » (1967), une composition de petite taille marron, beige et grise où l’on distingue une silhouette humaine en haut à gauche comme un buste posé sur un socle et tout autour, des mots comme « Devant-nous haut dressé le fertile point qu’il se garde de questionner ou d’abattre »…
On reste quelques instants aussi devant les fameux « Feuillets d’Hypnos » publiés dès 1946 par Gallimard qui sont exposés, accompagnés de « Seuls demeurent » (1941) et « affres – détonations – silences » (1947) autant de témoignages du bouillonnement dans lequel se trouve le poète pendant la guerre puisque, toute cette œuvre est produite pendant ce temps sans qu’il ne veuille les publier où que ce soit… Et il faudra toute l’insistance d’Albert Camus – qui deviendra son éditeur – pour que tout ce travail soit publié, enfin, après-guerre.
Touchantes aussi ces « Cartes à Yvonne Zervos » (datant de 1946), éditrice de mobilier contemporain de design, créatrice d’une société de production de films avec René Char et restée célèbre à Avignon pour avoir organisé, en 1947, l’exposition d’art contemporain au Palais des Papes, prémisse du futur Festival d’Avignon.
Il faut donc visiter cette exposition le cœur plein de cette idée que rappelle le compositeur Pierre Boulez, qui sait de quoi il parle à propos de Char : « il était inspiré tout le temps ». Ça se sent !
Emmanuel Serafini
Images : Joan Miro, « Le Marteau sans maître », sur un poème de René Char – eaux fortes sur velin, 1976 – Copyright succession Miro / ADAGP