« C’EST (UN PEU) COMPLIQUE D’ÊTRE L’ORIGINE DU MONDE » : VRAIMENT PAS A LA HAUTEUR DE SON SUJET

Cestunpeucomplique

CRITIQUE. « C’est (un peu) compliqué d’être l’origine du monde » _ Compagnie les filles de Simone – Spectacle vu le jeudi 12 avril, au Pianocktail à Bouguenais (44.

Bon, tu y vas en tant que personne convaincue par le féminisme, c’est-à-dire, pour toi, par l’idée que les femmes et les hommes sont égaux. Tu sais que dans nos civilisations dites évoluées et malgré tous les combats pour l’égalité des sexes que le XXe siècle et que ce début du XXIe siècle ont menés, il est encore difficile d’être une femme, et en particulier d’être une mère.

Tu n’es pas dupe des discoureurs institutionnels, lesquels se gargarisent de l’émancipation de la femme tandis que rien n’empêche, dans la vraie vie et comme tu l’as constaté par toi-même, la multiplication des clichés sur le bonheur maternel et sa magnificence. Tu penses qu’il faut encore dénoncer un certain nombre de choses et que le théâtre, de ce point de vue et à condition qu’il reste un geste d’excellence artistique, peut être utile. Tu vas donc voir C’est (un peu) compliqué d’être l’origine du monde, spectacle auréolé d’une presse abondante et dithyrambique et qui se joue partout en France. Tu n’es pas insensible au fait que la compagnie qui a monté le projet ait pour nom Les filles de Simone.

Mais en découvrant le plateau nu et quelques objets et éléments de décor disposés ici et là (chaises, tables pliantes, cartons, tableau noir et post-it), tu as une petite appréhension. Tu crains la conférence théâtralisée, l’adresse directe au public et l’humour forcé. Quand les deux comédiennes apparaissent et qu’elles saluent nonchalamment les spectateurs, tu frémis. Tu frémiras bien plus encore lorsqu’on fera tourner dans la salle des plateaux de toasts beurrés d’extrait de (faux) placenta.

Tu comprends très vite qu’on va dérouler devant toi, en enchaînant une à une des scènes si proches de la réalité qu’elles ne peuvent pas ne pas déclencher le rire d’une grande partie du public (tu ris toi aussi parce que cela te rappelle ce que tu as pu vivre ou observer), toutes les situations détestables auxquelles les femmes sont confrontées lorsqu’elles sont « tombées » enceintes et qu’elles « deviennent mère ». Tout ce qui fait caricature dans leur quotidien, toutes ces images négatives qu’elles ont d’elles mêmes ou qu’on leur renvoie (sans doute ce qui est le plus réussi dans le spectacle, comme par exemple la scène sur la question de la charge mentale). Tout ce que font subir à ces femmes leur entourage (mère, médecins, psychanalystes, nathuropathes,…) Tous les désagréments physiques et psychologiques après l’accouchement — du corps déformé jusqu’à la perte du désir sexuel, en passant par l’impossibilité de retrouver sa liberté de mouvement, la mère étant censée rester au chevet du bébé. Tous ces déboires dont on n’oublie pas de préciser qu’ils atteignent aussi bien les mères en général que les mères-artistes qu’incarnent nos deux comédiennes.

Entre deux rires, tu glanes ici et là dans le texte quelques formules (un peu trop) bien pesées : tu te souviendras de « rien de pire qu’une mère » ou de « la physiologie de la femelle ». Alors que l’ennui te gagne (car tu admets qu’en certaines circonstances on peut rire et s’ennuyer au théâtre), tu désilles un instant les yeux quand tu vois apparaître sur des post-it les noms de Simone de Beauvoir, Elisabeth Badinter, Yvonne Knibiehler ou Edwige Antier… Cautions, es-tu tenté de te dire… Ou au mieux : dérision, car on se moque du célèbre ton professoral de Simone… À la fin du spectacle, peu avant d’applaudir (car tu veux remercier, malgré tout, l’engagement et la belle énergie des comédiennes), tu ressens une gêne. Tu réalises une absence. Tu te dis qu’il a manqué quelqu’un, un point de vue. Une mise en scène. Puis en sortant du théâtre, le masculin qui est en toi (et dont tu n’aurais évidemment pas craint de voir dénoncer les travers) souligne que tout ou presque de ce que tu as vu était centré sur la femme. Pourquoi l’homme, s’il est l’égal de la femme, comme tu le crois, et s’il est également concerné par l’arrivée d’un enfant, a-t-il si peu sa place dans le spectacle ?

Tu n’es pas satisfait, ni artistiquement, ni intellectuellement. Même si tu comprends que montrer et dénoncer en riant a son intérêt, même si en ce sens la recette te paraît bien fonctionner, tu n’as pas le sentiment que le spectacle a été à la hauteur de son sujet. Non.

Stéphane Leca

3 réflexions au sujet de « « C’EST (UN PEU) COMPLIQUE D’ÊTRE L’ORIGINE DU MONDE » : VRAIMENT PAS A LA HAUTEUR DE SON SUJET »

  1. Pas vraiment d’accord avec cette critique, pour le coup… Je n’ai nullement été gênée par l’absence du point de vue masculin, parce que ce n’etait tout simplement pas le sujet. Il s’agissait d’aborder la question de la maternité vécue par des femmes (l’origine du monde, c’est assez explicite comme référence). Le sujet n’etait pas la parentalité, vécue par les hommes. Je pense qu’il y a suffisamment d’espaces d’expression pour les points de vue masculins, partout, tout le temps, pour ne pas avoir à s´offusquer de leur absence dans ce spectacle.
    Si le ton professoral adopté pour Simone de Beauvoir peut donner à rire, je ne l´ai pas perçu comme moqueur.
    Pour moi, la force de ce spectacle est d’avoir un écho autant auprès de féministes convaincu.e.s que de néophytes. C’est un spectacle drôle et intelligent, et le fait d’allier les deux est suffisamment rare pour être souligné je trouve…

      1. Oui, je sais, merci, je faisais bien référence à Courbet, qui représente un sexe de femme. Donc il est question de femmes. C’est tout ce que je voulais dire.
        Je vous trouve sévère dans votre jugement…

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