« BESTIE DI SCENA » : L’ENFANCE DE L’ART

CRITIQUE.  » BESTIE DI SCENA  » d’Emma Dante – Théâtre Anthéa d’Antibes le samedi 30 mars 2018.

Créé en Février 2017 par la metteuse en scène italienne Emma Dante, « Bestie di scena » avait enchanté le Festival d’Avignon ( le « In ») l’année dernière. Il a poursuivi sa tournée jusqu’à ce dernier soir de mars à Antibes, entre les murs du théâtre Anthéa aux courbes intérieures élégantes rappelant le musée Guggenheim de New-York et à la programmation qui sait être audacieuse dans le paysage théâtral azuréen.

Les « bêtes de scènes » sont 14 comédiens aux compétences chorégraphiques évidentes malgré des physiques et des âges divers, qui vont occuper le plateau sans décor pendant une courte heure, précédée par une séance d’échauffement de tout le groupe effectuée à vue devant le public en train de s’installer, un exercice qui se transforme progressivement en pièce dansée jusqu’à ce que la salle comprenne que le spectacle a vraiment commencé avec la mise à nue des corps, habilement scénographié en strip-tease dansant. Une fois complètement dénudés, les comédiens-danseurs alignés en avant-scène fixent du regard le public encore éclairé en cachant de leur main sexe et poitrine, mus chacun par un excès de pudeur. Voilà donc posée cette question centrale de la nudité, principe devenu quasi-incontournable de la danse contemporaine, à croire que celle-ci a décidé de signer la mort des costumiers de danse !

C’est là qu’Emma Dante appose sa signature singulière : en effet, à quoi sert cette nudité ? Que veut-elle faire saisir aux spectateurs ? Est-ce seulement un artifice pour pimenter le propos ou provoquer le public ? Chacun alors passe son temps pendant cette heure de spectacle à chercher la clé car forcément cette mise à nue ne peut être anodine et semble au coeur même du propos artistique. Il s’avère que « Bestie di scena » contrairement à d’autres propositions contemporaines très ou trop explicites, s’amuse à déjouer ou combiner toutes les hypothèses qui pourraient se poser à première vue.

Une fois dénudés, les comédiens n’en sont plus : oui peut-être au début où à peine nus leurs mouvements se font désordonnés et individuels et n’ont plus rien de chorégraphiques, obsédés qu’ils sont par le besoin de cacher leurs organes sexuels ou de réagir aux agressions mais très vite la danse reprend ses droits avec même un numéro de danse classique.

Une fois dénudés, les comédiens se transforment en animaux : oui peut-être pendant le très amusant et très réussi numéro des singes bonobos qui mangent des cacahouètes lancées depuis les coulisses ou se touchent le sexe mais en dehors de ça, leur humanité persiste et signe, et se renforce, certains tiennent des discours, d’autres manient avec dextérité tout un ensemble d’accessoires très humains (balais, marteaux…).

Une fois dénudés, les comédiens sont vulnérables et souffrants, transformés en rats de laboratoire et déshumanisés: oui peut-être au début lorsqu’ils avancent tous en groupe serré rappelant avec angoisse certaines images d’archives de la seconde guerre mondiale mais très vite ils évoluent avec force et plaisir libérant et déployant leurs corps, réussissant à surmonter et déjouer les agressions extérieures venues des coulisses.

Une fois dénudés, les comédiens retournent à l’état d’homme primitif : oui peut-être quand on les fait cracher eaux et nourritures, quand il se battent ou se meuvent comme des hominidés préhistoriques mais très vite ils retrouvent le monde de la culture, comme lorsque résonne la musique du « Only you » des Platters (seule musique de tout le spectacle) et qu’on voit un couple se mettre à danser et les autres essuyer le sol à l’aide de serpillères colorées créant un numéro de comédie musicale décalé et sophistiqué.

On se perd donc ainsi en de vaines conjonctures sans jamais trouver la réponse : et pourtant, il se dévoile au fur et à mesure une dimension à laquelle on n’aurait pas pensé initialement, habitués que nous sommes à traiter cette question sérieuse de la nudité avec des yeux d’adulte. Le spectacle, dont certains grincheux ont critiqué l’esbroufe, cultive en effet un humour simple et direct, provoque des rires vrais et pas gênés du tout comme devant un spectacle de clowns, et les danseurs eux-mêmes ont l’air de beaucoup s’amuser malgré la performance physique intense. Oui, il y a dans tout cela comme un retour à l’enfance et à son innocence et d’ailleurs les indices ne manquent pas : les pétards, la poupée en plastique, les glissades, les boîtes à musique, les épées, les ballons, les roulades… et si Emma Dante avait voulu tout simplement dénuder ses comédiens pour en faire des enfants ? Nous laisserons cette idée ouverte invitant les amateurs de scène vibrante à aller voir ce spectacle sincère, sans artifice et profondément joyeux qui continue avec succès sa route dans les théâtres de France et d’Europe.

Jérôme Gracchus

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