« ÇA IRA (1) FIN DE LOUIS » : THEÂTRE CITOYEN ET ECLAIRANT

CRITIQUE. « Ça Ira (1) fin de Louis » : Création théâtrale de Joël Pommerat – Les Vendredi 23 mars 2018 à 20h et Samedi 24 mars 2018 à 20h – Opéra Confluence du Grand Avignon en coréalisation avec La Garance, Scène Nationale de Cavaillon.

Voilà près de deux ans et demi que Joël Pommerat et sa Compagnie Louis Brouillard tournent leur spectacle « Ça Ira (1) fin de Louis ». Comme une sorte de fresque historique revisitée, Joël Pommerat nous plonge au cœur même de ce dont beaucoup de français sont si fiers, ce moment de la Révolution française durant lequel un peuple s’inventa une nouvelle page d’histoire.

La France va mal ! Au bord de la banqueroute le roi Louis XVI et son ministre décident d’engager une ultime réforme fiscale visant à rendre tous les français égaux devant l’impôt. Vautrés dans leurs privilèges, les représentants de la Noblesse et de l’Eglise freinent des quatre fers afin d’empêcher cette manœuvre jugée pourtant par tous la plus efficace et la plus juste.

Tout le monde connaît et la suite et l’issue… mais la force de Joël Pommerat est justement d’avoir gommé de sa pièce toutes les représentations que nous nous faisons ce cette période, massacres et têtes tranchées ne sont là qu’effleurés, le focus est mis sur l’antre qui représente actuellement notre démocratie, à savoir la future
Assemblée nationale, au travers des rouages politiques qui ont permis à notre démocratie de voir le jour. Des assemblées aux quartiers les débats fusent, des plus modérés au plus extrémistes, comme ces fabuleuses pointes envoyées par la formidable comédienne Saadia Bentaïeb qui joue le député Lefranc, souvent glaçante dans son discours jusqu’au-boutiste et qui, sentant venir un vent de folie envahir la France, va retrouver son humanisme à la fin du spectacle.

Pas de perruques et autre poudre de riz pour représenter l’époque, là n’est pas l’enjeu ! Joël Pommerat et ses fabuleux acteurs en costards-cravates parviennent brillamment à transposer l’action dans notre monde contemporain. En parsemant sa troupe sur scène et parmi les spectateurs le metteur en scène nous entraîne avec lui dans le maelström de l’Histoire et de ses coups tordus. Chaque spectateur devient acteur de l’Histoire de France, Joël Pommerat a su finement ciseler son texte afin de nous faire douter à chaque instant du bien fondé de tel ou tel point de vue. Les différents allers-retours entre l’Assemblée et les salons feutrés de Versailles nous montrent un Pouvoir tantôt déconnecté de la réalité du peuple, tantôt aux abois.

Joël Pommerat, loin de tout dogmatisme, nous fait revivre cette même déconnexion de l’Assemblée vis-à-vis des besoins immédiats du peuple qui rêve plus de pain et de justice que d’une nouvelle constitution aux idées générales et fondamentales. Ces besoins sont bien plus terre à terre, comme par exemple cette scène désopilante dans laquelle un artisan confiseur se plaint de la concurrence déloyale des bonnes sœurs ne payant pas de charges ou encore du désir de la reconstruction de Paris afin d’y apporter un air plus sain et plus frais.

Le temps passe très vite durant ces quatre heures et demie de spectacle tant l’entrain des comédiens est grand. Les applaudissements des nouveaux députés parsemés dans la salle lors des discours entraînent quasiment chaque spectateur à vouloir prendre parti pour tel ou tel. Les retournements de veste successifs jettent un trouble, comme nous le rappelle l’excellent Maxime Tshibangu en nouveau député qui ne parvient plus à se faire une opinion claire et stable tant les orateurs à la tribune assènent tour à tour ce qui semble être la vérité absolue. Comment ne pas songer à notre politique actuelle ? Comment ne pas songer aux flux d’informations sur les réseaux sociaux ou sur BFM TV quand le Président de l’Assemblée reçoit à chaque minute des plis plus ou moins véridiques relatifs aux déroulements d’évènements hors les murs ?

Le public sort conquis de ce spectacle rodé qui n’a pas pris une ride depuis sa création. Les comédiens soufflent encore un vent de fraîcheur et de révolution à chaque représentation, replaçant l’espoir et la nécessité de changement au centre de toutes les révolutions sans en oublier les dérives et trahisons.

Un moment jouissif de théâtre citoyen et éclairant.

Pierre Salles

Prochaines dates : Le Carré Sainte-Maxime – Du ven. 06/04/18 au sam. 07/04/18 / Espace Jean Legendre, Compiègne – Du sam. 14/04/18 au dim. 15/04/18.

Photos Elisabeth Carecchio

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