CRITIQUE. « BRUXELLES, PRINTEMPS NOIR » texte de Jean-Marie Piemme ; mise en scène/directeur artistique : Philippe Sireuil ; scénographie : Vincent Lemaire ; dix-neuf comédiens sur scène (*). Theâtre des Martyrs, Bruxelles, 29 & 30/03 à 20h15 ; 31/03 à 19’00. Durée du spectacle : 2h15, sans entracte.
Le métro. Des gens. L’aéroport. D’autres gens. Simultané. L’un ou l’autre. La scène est la même. On peut facilement l’imaginer. On peut s’y transporter dans la pensée ou l’imaginaire, à travers les sons et le décor à la fois simple et totalement crédible. Ils sont là, face aux spectateurs. Et puis c’est le noir, c’est la fumée, ce sont les cris. La bombe. Les bombes. Attentats à Bruxelles.
Leur étonnement, le désespoir, l’angoisse, le questionnement, les morts, la vie.
Il y eut l’avant et puis l’après, avec tout ce que cela comporte dans les sentiments de celles et ceux qui ont survécus, perdu un être proche…
Entre contradictions, suspicions, espoir, force, faiblesse, amour : tranches de vies pourrait-on dire. Les scènes se succèdent. On est dans un appartement, dans l’intimité d’une famille et de ses déchirures… ; dans un commissariat aux méthodes violentes… ; dans le monde de la mort… ; dans celui de la politique ; l’essence même de la vie de tous les jours et de tout un chacun ici ou là-bas.
Entre comique et tragique, le moins que l’on puisse dire, c’est que le public ne s’attend pas à la tournure que va prendre le spectacle. C’est ce qui surprend et interpelle, c’est cette subtile intelligence de montrer, de raconter qui fait de « Printemps Noir » un petit bijou dans le genre. « Dix-huit séquences mettant en scène quatre-vingt personnages confiés à dix-neuf actrices et acteurs » : brillant !
L’auteur : C’est en 2007 que Jean-Marie Piemme crée un premier projet pour «Printemps noir ». Juste après les attentats de Madrid et de Londres. Il imagine une pièce parlant des attentats mais à Bruxelles ; une bombe explosant Porte de Namur. Piemme s’intéresse alors aux répercussions qu’une telle chose peut avoir sur un corps social. Un projet appelé « Métro 4 » ; il le propose à une classe de l’INSAS (où il donnait cours). Le projet est d’ailleurs présenté au Théâtre National Par Isabelle Pousseur. Ce n’est que quelques années plus tard, qu’il collabore avec le metteur en scène Philippe Sireuil désireux de travailler sur ce texte. Et ironie du sort, à ce moment, les attentats ont lieu à Bruxelles. Le fait est que les mots de Piemme « prennent tout leur sens », « ils résonnent autrement » à la lumière de cette nouvelle tragédie, et il en ajoute d’autres. Printemps noir, loin d’être une reconstruction des évènements, se concentre sur les répercussions de l’attentat « sur le corps social blessé par la violence ». Sur la fragilité qui en ressort.
On ne compte plus les nombreux prix attribués à l’œuvre ( textes, récits, pièces ) de Jean-Marie Piemme ( Prix : Eve du Théâtre ; RFI (Radio France International) ; Herman Closson de la SACD Belgique ; Soni Labou ; Prix Quinquennal de littérature de la Fédération Wallonie Bruxelles ; etc.). L’auteur belge, dramaturge, « bouscule la réflexion sur le théâtre » ; « se frotte à l’écriture scénique ». Bienveillance, sans complaisance, intelligence, lucidité, sont les maîtres-mots (en partie) de ses écrits. Pédagogue, enseignant, conférencier, écrivain, sont autant de casquettes de Jean-Marie Piemme. Il aime écrire pour « des acteurs et actrices qui l’inspirent ». Son influence littéraire est bien présente, en Belgique, mais pas seulement.
Metteur en scène tant au théâtre qu’à l’Opéra : Philippe Sireuil, fondateur du Theâtre VARIA (1981, avec Michel Dezoteux et Marcel Delval) ; directeur artisitique de l’Atelier Theâtral jean Vilar (2001-2003) ; artiste associé au Théâtre national de Belgique (2005-2010) ; dirige la compagnie « La Servante » ; direction artistique du Theâtre des martyrs (depuis 2016). Genève, Strasbourg, Lausanne, Lille, Suisse romande, Mons, et autres nombreuses villes, sont autant de lieu où Philippe Sireuil a également occupé des fonctions pédagogiques.
Une impressionnante mise en scène. Un décor particulièrement réussi. Le public peut aisément s’y projeter. Bravo aux dix-neufs actrices et acteurs. Naturels. Talentueux. Un vrai plaisir. On remarque un Jean-Pierre Baudson exceptionnel dans un rôle surprenant : au futur spectateur de le découvrir.
Émotionnellement intense et, à la fois, tout en douceur ! Loin des clichés, avec un certain recul, pas de morale au tournant, juste le fabuleux talent de raconter, de proposer, tout en poésie, une fiction dans la brutalité d’un réel qui a frappé et peut frapper n’importe où, n’importe quand, n’importe qui. Le théâtre, une façon de sublimer le vécu, les vécus, de ne pas oublier mais de porter un certain regard, d’en rire parfois, et surtout de rappeler que nous sommes là, que la vie continue avec nos ressemblances, nos différences, nos certitudes et nos doutes. Quel est l’écho que de tels évènements font résonner en nous ? … si une telle réponse est difficile, alors pourquoi pas simplement :
Bruxelles, Printemps Noir : J’y vais !
Julia Garlito Y Romo,
à Bruxelles
(*) Comédiens : Frank Arnaudon ; France Bastoen ; Jean-Pierre Baudson ; Isabelle De Beir ; Dolorès Delahaut ; Sophie Delogne ; Patrick Donnay ; Itsik Elbaz ; Soufian El Boubsi ; Maude Fillon ; Janine Godinas ; Ben Hamidou ; Agathe Hauser ; Antoine Herbulot ; Daniel Jeanloz ; Charlotte Leble ; Stéphane Ledune ; Fabrice Rodriguez ; Laurent Tisseyre.
Images copyright Théâtre des Martyrs Bruxelles