CRITIQUE. « Les Carnets d’un acteur » – Mise en scène : Alain Timár avec Charles Gonzalès du 22 au 25 mars 2018 au Théâtre des Halles à Avignon (repriseau prochain Festival Off d’Avignon 2018)
Artiste protéiforme, Alain Timár revient dans son théâtre après le succès mérité de sa mise en scène des « Dialogues des Carmélites » pour l’Opéra d’Avignon et c’est avec le comédien Charles Gonzalès qu’il monte « Les Carnets d’un acteur ». Une fois encore le metteur en scène surprend par ses pas de côté qui ne laissent jamais place à la routine.
Explorateur et toujours avide de recherche, Alain Timár signe là une mise en scène très différente de ses dernières créations mais au travers d’une même exigence, d’une évidente précision et d’un amour de l’Acteur. En l’occurrence, c’est avec ce grand comédien qu’est Charles Gonzalès que le metteur en scène livre là une pièce exigeante et profonde.
Sur scène, il y a Fédor, vieux comédien un peu fatigué et peu reconnu, qui a trouvé là, dans ce petit théâtre, de quoi gagner sa vie en tant qu’homme à tout faire. Rideau baissé, il déambule en attendant l’entrée du public. Mais Fédor c’est avant tout ce fou de théâtre et de mots, surtout ceux de Shakespeare, il en connaît toutes les pièces et tous les recoins. Laissant le temps d’un instant son balai, Fédor, que ses amis surnomment Will, ose et se faufile sur scène dans la peau de ses personnages préférés et va offrir tout son amour du théâtre et des hommes au monde, toute cette humanité débordante et parfois encombrante qu’il ne peut exprimer ailleurs que dans ce théâtre vide. Les mots fusent et le comédien virevolte et papillonne autour de ces grandes figures théâtrales, celles des pièces de Shakespeare et de Dostoïevski, ou sur des textes des » Psaumes » et du « Qohélet « . Le cynisme face à ce monde devenu incompréhensible ne parvient pas à cacher cet amour infini de l’autre. Fantôme parmi ces fantômes, le vieux comédien ouvre son cœur et se met à nu.
Un spectacle au propos complexe et parfois foisonnant où l’exigence des textes demande une attention particulière et une écoute toute entière face à un comédien qui, durant près de deux heures, tient à bout de bras cette pièce dense et forte dont la proposition ne peut laisser indifférent. Sous la direction au cordeau d’Alain Timár, le comédien Charles Gonzalès enivre la salle de ses maux et de ce trop-plein d’amour, de ce mélange encombrant de sentiments antagonistes. Une nouvelle réussite pour cette création d’Alain Timár qui ne laisse décidément aucune place à la facilité.
Pierre Salles
Photo © Celine Zug