TRIBUNE. AVIGNON OFF 2018 : Tiens ! les compagnies se réveillent…
Enfin ! Serait-on tentés d’ajouter. Il était temps… Tout à coup, les compagnies (et la presse locale avec elles) semblent prendre la mesure de ce qu’est véritablement le OFF d’Avignon : un marché de dupes !
A l’initiative du « réseau » Sentinelles, qu’on ne connaissait pas mais qui selon eux regrouperait une quarantaine de compagnies, une pétition est en ligne sur Change.Org pour « dénoncer » les méfaits et les dérives pourtant bien connues et répertoriées depuis plus de 15 ans, de ce OFF mercantile et opportuniste qui engraisse depuis des années sur le dos des compagnies tout un clan de prédateurs que sont les loueurs de salles, les loueurs d’apparts et autres parasites, sans oublier l’association coordonnatrice AF&C dont le chiffre d’affaire ne cesse de croître exponentiellement, relativement à l’inflation du nombre de spectacles proposés.
Un phénomène bien repéré que lebruitduoff.com Avignon n’a cessé depuis 2010 de dénoncer sans relâche, fort bien appréhendé également par les quelque 275 000 lecteurs (dont de nombreux professionnels) qui chaque mois de juillet nous font l’honneur de suivre nos chroniques de spectacles et nos billets « d’humeur », dont l’essentiel porte justement sur les disfonctionnements graves de ce OFF monstrueux et perverti.
Alors, bien sûr nous ne pouvons que nous féliciter de cette soudaine quoique tardive prise de conscience de la part de ces professionnels (de jeunes compagnies pour la plupart) qui découvrent enfin la sordide réalité de ce « marché » du théâtre sans foi ni loi, que tous pourtant ont rêvé et rêvent encore et toujours de « faire »… Les « tauliers » de salles et autres Thénardiers ont encore hélas de beaux jours devant eux….
Car si l’initiative est louable, elle pêche tout de même par une certaine naïveté : s’imaginer un seul instant qu’une simple pétition fera plier d’un iota le petit monde de ces grands profiteurs du OFF relève à tout le moins du voeu pieux.
Mais cela dit, il est bon que ce réveil prenne forme, enfin, et nous soutenons pleinement cette initiative qui aurait dû depuis longtemps se mettre en place. Avec la réserve toutefois que dans le communiqué accompagnant ladite pétition, nulle part il n’est fait mention de la très lourde responsabilité de l’association AF&C dans cette dérive néo-libérale sans frein, initiée par le président Greg Germain et depuis jamais remise en cause par ses deux successeurs…
Car enfin, si le OFF en est arrivé là, c’est bien sous l’impulsion mégalomane de M. Germain qui n’a eu de cesse sous ses mandats de faire enfler ce festival en le gavant de toujours plus de spectacles -pour des raisons d’intérêt strictement personnel-, ouvrant largement les portes de ce OFF sans aucune contrepartie aux pires productions mercantilistes dont s’engraissent des salles comme Le Palace, Le Paris et une multitude d’autres repères de la médiocrité des one-man shows parisiens et autres comédies boulevardières, irriguées par des dépenses colossales en communication et publicité qui écrasent de leur vulgarité et de leur omniprésence conquérante tout le reste des propositions du OFF…
Un phénomène que se garde bien de relever la presse locale, frileuse génétiquement comme toute presse locale, même si depuis quelques jours elle fait mine de s’y intéresser : ainsi « La Provence » d’aujourd’hui 28 mars* ou encore l’ex-gratuit culturel marseillais « Zibeline » qui d’un coup s’intéresse au théâtre avignonnais et aux dérives du OFF… Prépare t-il une édition spéciale pour juillet, à l’instar des vendeurs de pub comme « La Terrasse », afin de relever ses ventes et sa notoriété qui chacun le sait sont au plus bas ?
Oui, le OFF est un miroir aux alouettes, une vaste escroquerie dont les compagnies par dizaines chaque année font les frais. Un vrai marché de dupes où seuls les intermédiaires s’enrichissent. Où seuls les marchands de soupe prospèrent… Il suffit de voir combien de spectacles tournent réellement en France après leur passage -même remarqué- dans le OFF avignonnais pour comprendre combien ce faux « marché » du théâtre est un pourvoyeur d’illusions… et le responsable de beaucoup de désillusions et de faillites. A peine plus de 20% de spectacles peuvent se vanter de tournées***, et encore bien souvent dans de minables petites salles de province ou des MJC. Voilà la dure réalité.
Mais ce OFF fait rêver les compagnies, attirées comme des papillons par la lumière et qui se crament les ailes… Et il continuera de le faire, hélas. Alors saluons une fois de plus l’initiative de Sentinelles en espérant qu’elle ouvre les yeux de certaines d’entre elles, fussent-elles une infime minorité. Ce sera toujours ça de gagné, pour la santé du théâtre français et surtout pour celle de ces jeunes et fragiles compagnies, qui franchement n’ont pas besoin de ce OFF avignonnais puant et ruineux, pour continuer de créer et surtout d’exister, bien au contraire !
Martin Zell
La pétition à signer sur Change.org ICI
* « La Provence » qui par ailleurs relaie encore une fois une contre-vérité « conceptualisée » et largement propagée par M. Germain : non le OFF Avignonnais n’est pas le « plus grand » festival de théâtre du monde, c’est le Fringe Edinburg qui avec le double de compagnies présentes tient cette place tant enviée !
**Pour vous faire une idée de ces dérives du OFF maintes fois dénoncées, allez sur le site du bruitduoff Avignon et tapez les mots-clés « Greg Germain », « AF&C », « Bernard Le Corff » : http://www.lebruitduoff.com
*** On est bien placés pour le constater, hélas : depuis qu’on a ouvert à l’année le BDO TRIBUNE (le 1er octobre 2017), on constate avec dépit le peu de spectacles du OFF 2017, repérés parmi les 250 chroniqués par nous en juillet 2017 à Avignon, qui sont depuis en tournée en France… C’est consternant !
Image : « L’A-Démocratie » de Nicolas Lambert, joué au Gilgamesh-Belleville dans le Off 2017
Bonjour,
Je tiens également à apporter ma goutte d’eau dans cet océan fait de vérités mais également de lacunes.
Pour ma part au Verbe Fou depuis 12 ans, je pratique des tarifs tout à fait honorables et totalement transparents mais également des co-réalisations avec minimum garanti et même des accueils sans minimum. La salle y est ouverte toute l’année et y accueille des résidences d’artistes, des créations, des cours, des ateliers d’expression ou d’écriture. Tout cela gracieusement !!!
Depuis 12 ans à Avignon et 38 ans en Belgique je me suis constamment rangée aux côtés des artistes n’hésitant pas à prendre des risques financiers dangereux en permanence, à hypothéquer et à refaire des emprunts pour pouvoir tenir le cap en offrant des conditions et une multitude de services aux compagnies.
Bien évidemment une salle de 50 places n’a pas la même rentabilité qu’une salle de 200 places et il est vrai qu’en plus des marchands de tapis bien en place, nombreux et âpres au gain, il s’en ajoute depuis 4 ou 5 as une multitude avec des spectacles de niveau artistique et culturel tout à fait gras et inintéressants sans parler des campagnes de publicité qui écrasent sans vergogne les vrais passionnés de théâtre comme moi.
Car il en existe plusieurs à Avignon dans les théâtres permanents, il suffit de chercher et de se renseigner. Même si quand on donne la main aux compagnies ils ont tendance à nous dévorer le bras, il existe malgré tout des compagnies reconnaissantes du travail fourni en commun. Il y a des gens vrais, intègres, des 2 côtés et ce serait bien d’argumenter dans ce sens positif, pas toujours de frapper sur les mêmes dysfonctionnements… Car comme vous le dites si bien l’énorme machine du OFF ne sera pas démantelée demain, alors pourquoi ne pas favoriser les » vrais » théâtres en parlant de leurs projets plutôt que de chercher une guerre inutile ?
De mon côté c’est la raison pour laquelle j’ai rejoint le conseil d’administration du OFF depuis 2 ans, apporter la parole des petits lieux du OFF, des théâtres permanents, de la création, de la vocation de la passion !!! C’est la seule chose qui compte. Et si rien ‘est parfait il faut leur reconnaître cette même passion du théâtre, du OFF et leur capacité de travail. Evidemment celui qui ne fait rien n’est pas critiquable …
Alors si cette même passion n’est pas un moteur, un conseil, il faut changer de métier !!
Ceci dit heureusement que vous êtes là pour secouer le cocotier, tâchons seulement que ce soit des noix plus positives …
Bonjour, je m’appelle Franck Halimi (dit Franck de Bourgogne) et m’en viens réagir à votre papier.
Je remarque combien il est aisé d’écrire un brûlot, susceptible de faire le buzz, mais qui laissera des traces de cendres sur ceux qui y sont attaqués.
Cela fait plus de 25 ans que je « pratique » Avignon et son Festival Off, si « folklorique ».
Dans votre papier, Martin Zell, vous écrivez et décrivez des choses on ne peut plus justes.
Mais, pas que…
Ce que vous dites sur l’historique d’AF&C et sur sa précédente gouvernance n’est pas totalement faux.
Mais, ce que vous avancez sur l’actuelle direction d’AF&C et sur l’initiative du collectif de compagnies Les Sentinelles me semble bien léger.
Vous écrivez qu’on peut « se féliciter de cette soudaine quoique tardive prise de conscience de la part de ces professionnels » et quelques lignes plus bas « Car si l’initiative est louable, elle pêche tout de même par une certaine naïveté : s’imaginer un seul instant qu’une simple pétition fera plier d’un iota le petit monde de ces grands profiteurs du OFF relève à tout le moins du voeu pieux ».
Si vous vous étiez renseigné un tantinet avant de balancer de tels pavés dans cette mare effectivement vaseuse, vous sauriez que :
* cette initiative des Sentinelles ne vient pas de nulle part ;
* elle est le fruit d’un long travail de maturation de la part de ceux qui ont lancé cette initiative ;
* elle est également issue de la lutte des Intermittents et Précaires, qui oeuvrent depuis 2003 (et pour certains d’entre-eux depuis bien plus longtemps encore) pour que des droits sociaux élargis et des conditions de travail « acceptables » président aux destinées de nos métiers du spectacle vivant et de l’audiovisuel ;
* un collectif issu des CIP, intitulé ‘Le Off est à nous » a pour le moins « titillé » les gouvernances successives d’AF&C et travaillé à ce qu’un cercle vertueux vienne infléchir le cercle vicieux dans lequel s’enferment nombre de compagnies venues se mirer dans ce miroir aux alouettes qu’est le Off d’Avignon ;
* « Le Off est à nous » continue d’exercer son travail de vigilance et de stimulation sur l’actuelle gouvernance d’AF&C avec, il faut bien le reconnaître, un accueil bien meilleur et des avancées considérables ;
* vous ignorez bien des choses encore sur ce marigot que peut être le Off d’Avignon.
Ensuite, je ne peux vous dénier certaines vérités bien senties et tente donc, dans cette réponse, de faire la part des choses.
Mais, permettez-moi de vous signifier que vous êtes d’un manichéisme terrible, qui, vu d’où je suis, ne peut que mettre de l’huile sur le feu. Et même si je sais bien que vous ne détestez pas la polémique (je lis « Le bruit du Off » depuis ses premières publications), il est bon que vos lecteurs sachent que ceux que vous appelez « Les Thénardier » sont bien loin de tous mériter ce label, car certains véritables amoureux du théâtre prennent de gros risques.
L’une des principales questions à résoudre est donc de ré-équilibrer les risques entre compagnies et lieux.
Et si nous travaillons d’arrache-pied à une évolution (voire, soyons fous, à une révolution) du Off d’Avignon , ce n’est certainement pas avec des papiers du genre du vôtre que nous parviendrons à inverser la tendance et à faire en sorte que les compagnies qui y jouent y soient mieux accueillies qu’elles ne le sont.
En effet, ce n’est pas en déterrant la hache de guerre et en attaquant à tous crins les théâtres où jouent les compagnies que nous pourrons améliorer les choses.
Mais, plutôt en nous parlant, en essayant des « trucs » qui n’ont jamais été éprouvés, en nous mettant tous autour d’une table pour débattre de tous les sujets qui fâchent et en cherchant des solutions qui nous feraient TOUS sortir par le haut.
Je vais terminer en vous reconnaissant tout de même le rôle d’aiguillon (que nous continuons nous aussi de tenir à notre façon), mais en espérant que c’est par nos intelligences croisées et par la concertation que nous serons en mesure de changer le Off d’Avignon de l’intérieur.
Car si des solutions arrivaient de l’extérieur (voir la volonté de main-mise de certaines grosses productions parisiennes sur ce juteux marché avignonnais), elles seraient catastrophiques pour les plus fragiles d’entre-nous.
C’est l’une des raisons pour lesquelles nous continuons d’oeuvrer à une amélioration des choses : il s’agit bel et bien d’une « vision politique » à moyen et long terme pour le bien du plus grand nombre et pas pour les biens d’un tout petit nombre : vous percevez la différence ?…
Merci Franck pour votre réaction. Comme son nom l’indique, le papier de Martin est une Tribune. Et les tribunes, c’est fait pour tribuner. On n’est pas obligé d’être d’accord sur tout avec Martin, et vous avez raison de donner votre point devue. La discussion est ouverte…
En tout cas une chose qu’on ne peut pas lui reprocher c’est de méconnaître le « marigot » puant qu’est ce OFF : et pour cause, nous y oeuvrons de fond en comble depuis 2010 sans relâche avec notre quinzaine de collaborateurs, et en connaissons absolument tous ses dessous, même les plus inavouables, même ceux qu’on ne peut révéler sans se prendre un procès au cul… (ce qui ne nous empêche en rien de le faire de temps à autre).
Quant à l’actuel président, nous n’avons rien personnellement contre lui, au contraire, mais constatons tout de même qu’AF&C ne fait pas grand chose quoique vous en dites pour faire évoluer les choses : ce serait pourtant simple par exemple de supprimer de leur « bible », ce pavé qui sert lieu de catalogue, tous ces opérateurs douteux, ces salles et ces spectacles qui n’ont rien à faire dans un festival de théâtre… et de cesser de s’engraisser sur les cartes du OFF, sur le dos des compagnies, autre exemple….
En tout cas, nous de notre côté continuerons notre rôle de vigie, n’en déplaise aux uns et aux autres : nous sommes libres et parfaitement indépendants (plus que les compagnies du coup) et pouvons nous le permettre. Sans dommage pour nous. Et au bénéfice de tous et surtout d’une certaine idée du Théâtre.
Bien à vous.