« NOTRE INNOCENCE », CRI D’UNE JEUNESSE A COEUR OUVERT : CHOC MAIS CONFUS !

CRITIQUE. « Notre innocence » – texte et mise en scène Wajdi Mouawad – scénographie Clémentine Dercq – création – Théâtre de La Colline– du 14 mars au 11 avril 2018 – Durée 2h.

« Notre Innocence » n’est pas un spectacle comme les autres. Parce qu’il est né d’un atelier de recherche mené par Wajdi Mouawad en 2015 au C.N.S.A.D avec de jeunes apprentis comédiens. Parce que la réalité a rattrapé, de manière troublante, la fiction d’origine. Au départ, la pièce « Victoire » qui traitait du suicide d’une jeune comédienne a été « percutée » par la mort réelle d’une jeune élève de la promotion peu après la présentation publique de leur travail. « Victoire » est alors réécrite, reconstruite et se transforme en « Notre innocence » pour parler de la stupeur, des blessures, des désillusions d’une jeunesse malmenée. Le spectacle s’annonce brûlant, expérientiel.

Et la première partie (« La viande » !), en forme de manifeste coup de poing, ne déçoit pas. Wajdi Mouawad utilise l’effet choral pour nous faire entendre le cri de la jeunesse d’aujourd’hui. Les dix-huit comédiens à l’unisson, hurlent leur colère face à leurs ainés et leur pensée péremptoire, face à cette société de consommation et de performance dont ils ont hérité, face à leur propre incapacité à se réinventer et se créer des modèles.- « Comment se consoler quand à 25 ans on sait qu’on ne sera pas mythologique ? » -. Si le propos n’est pas nouveau et peut en irriter certains, il devient électrisant par le parti pris scénique et le verbe de Wajdi. Il donne suite, après les mots, a une vibrante séquence « La chair » où c’est au corps de cette jeunesse de s’exprimer. La danse pour libérer la colère, les pulsions. Dans ce mouvement, la scène se rétrécit progressivement comme leur vie, jusqu’à la suffocation, le vide. Choc !

Mais dans les parties qui suivent, « Le corps », « L’esprit », puis « La vie », le spectacle se délite et perd de sa verve. Il y a beaucoup d’idées, de fortes idées scéniques mais l’ensemble est décousu, manque de cohérence, la performance des comédiens se révèle très hétérogène, l’écriture moins incisive et précise qu’à l’accoutumée. Face au chaos de la vie, devant la mort, la jeunesse se livre à son introspection. Wajdi met sur la table les grands sujets tels que la responsabilité, l’humiliation, le collectif, la quête de héros, le deuil, le poids du passé, la sexualité… Un grand déballage qui illustre bien la cacophonie dans laquelle sont plongés les jeunes d’aujourd’hui. Où tout s’affiche, tout se vaut sur les réseaux sociaux. Mais il tente d’y raccrocher la narration de départ « le suicide de Victoire » sans réussir à l’imbriquer pleinement et cherche dans les dernières parties à trouver un sens à tous ces questionnements, sous le registre du conte. La réponse paraît maladroite, un peu simpliste. Confus !

Par trop d’ambitions, le spectacle manque d’aboutissement, se brouille et nous perd. Certes, il ne laisse pas indifférent, il interroge, nous laisse avec des émotions brutes, des images puissantes, des phrases percutantes mais nous restons sur un entre-deux. La pièce aurait gagné à plus assumer son caractère expérimental, protéiforme pour porter ce cri, sans essayer d’y apporter nécessairement de réponse ni de narration. Rester sur de la pure recherche scénique pour montrer la jeunesse à l’état brut, à cœur ouvert. Car ce n’était pas un spectacle comme les autres. Dommage !

Marie Velter

Images copyright La Colline

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