CRITIQUE. « Signé Célestine », adaptation du roman « Le Journal d’une femme de chambre » d’Octave Mirbeau. Spectacle bilingue Français / Langue des Signes de Belgique Francophone. Centre Culturel d’Anderlecht (Bruxelles), 23 mars 2018. Au Centre Culturel De Zeypt à Ganshoren (Belgique) le 28 mars 2018 à 20h00.
Le célèbre roman d’Octave Mirbeau, « Le journal d’une femme de chambre » à nouveau adapté au théâtre mais… dans la langue des Signes !
La Genèse : Célestine est une soubrette qui échoue à Mesnil-Roy, en Normandie, dans la propriété Le Prieuré. Elle doit servir sous l’autorité de Mme Lanlaire ( patronyme grotesque dont se moque Célestine ). Avare, sévère, maniaque, se méfiant de tout, jamais un sourire, cette dernière malmène Célestine avec un certain dédain. Bien que l’autorité et la jalousie de sa femme se répercute également sur lui, M. Lanlaire, de son côté, ne se prive pas de poursuivre notre célèbre femme de chambre de ses assiduités mal placées. Célestine mange à l’office avec Joseph, le cocher-jardinier. Il ne lui adresse jamais la parole, pas même un bonjour ou un sourire. Une brute, plutôt taiseux, antisémite se nourrissant de la haine d’un journal propagandiste d’extrême droite.
Célestine se lamente et se demande comment a t-elle bien pu atterrir à cet endroit, loin de tout ceux qu’elle aime. Elle couche ses pensées les plus privées et professionnelles dans un journal intime. Lucide à souhait, impitoyable et intelligente, elle y dénonce l’enfer social où règne le plus fort, les dessous d’un monde nauséabond : celui des bourgeois, le « beau monde » qui traitent leurs domestiques tels des esclaves. Célestine rencontre Rose (friande de ragots), la servante du Capitaine Mauger, un voisin, grotesque et fantoche, mangeur d’insectes entre autres bizarreries. Il propose d’ailleurs à Célestine une place de « servante-maîtresse » mais elle refusera. Malgré un certain dégoût et une méfiance certaine ( elle croit Joseph coupable d’un crime et d’un viol ), la petite chambrière, n’est pas insensible au jardinier, loin d’être un enfant de coeur ( il s’enrichi avec le vol de l’argenterie de ses « maîtres » ). Il lui fait une proposition pour le moins singulière : le suivre à Cherbourg pour y ouvrir un café et « séduire » les militaires racistes de passage. Célestine va t-elle accepter et le suivre ?
Après plusieurs adaptations au cinéma et d’autres innombrables au théâtre, voici « Signé Célestine », un spectacle bilingue : Français et Langue des Signes. Dynamisant, comique et jubilatoire, les quatre comédiens belges nous éblouissent, nous épatent, le temps paraît trop court. Une belle complicité sur scène, l’ensemble est absolument réussi.
Il s’agit d’un projet particulier reposant sur la volonté de réunir sur scène des acteurs sourds et des acteurs entendants, ouvert à tout public, tous âges confondus. Un projet soutenu par la Fondation « L’estacade » fondée par Jean Lefébure, professeur honoraire à l’INSAS. L’estacade aide financièrement des étudiants des Conservatoires de l’ESAC, l’IAD et de l’INSAS. En 2016, la fondation a décerné à Sarah Navarro, porteuse du projet, le prix Henri Goethals ( première place dans le cadre de l’appel à projets artistiques valorisant la personne handicapée ).
Alice Leidensdorf (Célestine), comédienne sourde, est également accompagnatrice et animatrice « Triangle Wallonie ». Patrick Lemaire (Joseph)- remarquable -comédien sourd, conteur, professeur et formateur. Sarah Navarro (Mme Lanlaire / Rose / Voix de Célestine) comédienne, interprète de la Langue des Signes de Belgique Francophone de plusieurs chansons, notamment « J’envoie valser » de Zazie, ou encore « L’oiseau et l’enfant » de Marie Myriam.
Gilles Poncelet (M. Lanlaire / Capitaine Mauger / voix de Joseph), comédien ; ne fait pas que de la scène mais également des doublages ; de la vidéo ; donne des cours de théâtre ( principalement à des enfants ), et gère l’association « Sur le Bout des doigts ». Association dont font partie les trois autres comédiens et de laquelle est partenaire « L’estacade ».
Claude Chalagrier, metteur en scène du groupe Signes, explique : « Faire découvrir, ressentir et comprendre que la singularité du métissage entre acteurs ordinaires et extraordinaires transforme la scène en chambre d’écho dans un espace ouvert au dialogue, privilégiant le langage du corps et l’approche poétique qui sublime tout ».
Un mot sur l’auteur : Après une grande crise morale, Octave Mirbeau -écrivain, romancier, journaliste influent – s’interroge sur son talent et la valeur de la littérature. Proche du mouvement anarchiste, il écrit plusieurs romans (L’Abbé Jules (1880), Les vingt et un Jours d’un neurasthénique (1911), Dingo (1913), et j’en passe. C’est en 1900 que l’un de ces plus célèbre roman : « Le journal d’une femme de chambre » est publié, faisant suite à l’affaire Dreyfus, pour laquelle il est très engagé aux côtés d’Emile Zola. Il met en avant la condition humaine en peignant la vie quotidienne de l’époque, tant par son côté vulgaire que sordide : « Si infâmes que soient les canailles, ils ne le sont jamais autant que les honnêtes gens ». Le livre a été traduit dans plus d’une vingtaine de langues.
« SIGNÉ CÉLESTINE » : Chapeau ! À soutenir et surtout : j’y vais, j’y cours et j’y retourne. On attend avec impatience un prochain spectacle.
Julia Garlito Y Romo
* Avec deux comédiens sourds : Alice Leidensdorf & Patrick Lemaire ( tous deux traducteurs du texte en Langue des Signes ) et deux comédiens entendants : Sarah Navarro & Gilles Poncelet. Régie : Geoffrey Adam ou Jeremy Boosten ; création lumière : David Waterlot. Production : Compagnie « Sur le bout des doigts ».
** Il est possible de soutenir l’a.s.b.l. « Sur le bout des doigts » en versant des dons. Voir : surleboutdesdoigts.org