CRITIQUE. « Dernier lit » d’après la nouvelle de Hugo Claus ; Texte français : Alain Van Crugten ; avec Claire Bodson et Laura Sepul ; adaptation et mise en scène : Christophe Sermet ; assistanat mise en scène : Nelly Framinet ; scénographe : Michele Hubinon (*) – coproduction KVS / Le Rideau Bruxelles – Theâtre Royal Flamand de Bruxelles (KVS) jusqu’au 30/03/2018 – 20h30.
L’histoire :
Debout, face au public, à moitié vêtue, Emily (Claire Bodson), nous raconte sa vie plutôt tumultueuse, à travers un récit, notamment une lettre qu’elle écrit à sa mère, hospitalisée après une attaque. Enfant pianiste prodige – à l’âge de douze ans- Emily est pleine de ressentis, elle n’assume pas cet amour-haine qui la torture encore et toujours. Elle règle ses comptes à travers cette lettre, qu’elle rédige sur un bout de papier depuis la chambre d’un hôtel de la mer du Nord. Un hôtel supposé de luxe, au décor douteux vaguement égyptien. Sur le lit (imagé), Ana, (Laura Sepul), tout aussi peu vêtue, se repose. Ana est sa compagne. Une rencontre, puis une relation torturée, aux lourdes conséquences, qui scandalise une société flamande conformiste, et lui vaut le renvoi du Lycée où Emily exerce en tant que professeur de musique et Ana, elle, y remplace sa mère, femme de ménage, partie en voyage. Sur scène Ana est, à la fois, une voix parfois en retrait, un écho à celle d’Emily, et en avant, dans la lumière, déchirante lorsqu’elle crie sa souffrance en parlant de son fils. Au rez-de-chaussée de l’hôtel Louxor, un congrès de notaires éméchés. Alors qu’Émilie sort de l’hôtel un instant, un journaliste local reconnaît en elle l’enfant jadis prodige et essaie de l’interviewer.
Une passion amoureuse donc, un drame œdipien dont l’issue ne peut-être que fatale : une mort programmée. Le tout dans un décor étrange de seize tables noires sur un tapis mauve, supposé représenter le restaurant de l’hôtel. Une énorme enseigne en néon : Minuit. Une vieille télévision qui grésille à même le sol. Une ambiance étrange et glauque.
La pièce :
Pas simple d’adapter au théâtre un texte d’Hugo Claus, habitué à jouer avec ses lecteurs en les plongeant dans un univers de provocation, un mélange d’absurde, de réalité, de passions humaines, de mensonges, de grotesque et de pathétique. Il ne raconte pas l’histoire dans l’ordre, il sème la confusion et choque, voire, pousse à la réflexion, fait appel à nos consciences. Réactionnaire, provocateur et très populaire, à la fois poète, dramaturge, metteur en scène, cinéaste, romancier, et même dessinateur et peintre (« Le Radeau de la Méduse » -1964) (proche du mouvement artistique Cobra dans les années 50), Hugo Claus, Belge flamand qui se disait « flamingant francophone », écrivait en néerlandais. Une centaine de livres à son actif, parmi lesquels, un des plus célèbre (1983) : « Le chagrin des Belges ». Alain Van Crutgen (traducteur, entre autre, de littérature contemporaine belge, polonaise, russe) est son traducteur en français, ce qui contribuera à faire connaître internationalement une large partie de son œuvre.
C’est d’ailleurs dans le cadre du dixième anniversaire de la mort d’Hugo Claus (atteint de la maladie d’Alzheimer, le romancier demande l’euthanasie. Il décèdera à l’âge de 78 ans, le 19 mars 2008) que le KVS propose « Dernier Lit », mis en scène par le Suisse Christophe Sermet (qui a émigré vers la Belgique en 1993) également comédien au cinéma et à la télévision belge, suisse et française. Trois fois récompensé au dernier Prix de la critique en 2017 pour son spectacle « Les enfants du soleil » de Maxime Gorki. » Dernier Lit » n’est pas la première œuvre d’Hugo Claus que Sermet adapte au théâtre, puisqu’en 2005 il met en scène « Vendredi, jour de liberté ». « L’univers de l’auteur belge l’interpelle et l’éblouit, peut-ton lire de Christophe Sermet, par la manière dont il traite de la passion humaine ». Il est d’ailleurs le premier à le faire, et en est fier. Il mène un projet de Master intitulé « Maison Claus » avec des étudiants du conservatoire de Mons. Une façon, dit-il, de dégager, en filigrane, les manifestations du désir sous toutes ses formes. Il découvre Claus peu avant son installation à Bruxelles début des années 90, raconte-t-il lors d’une interview au journal du KVS. « La complexité et la part anticonformiste de la Belgique l’attire ».
Les deux comédiennes belges, Claire Bodson et Laura Sepul sont juste excellentes. Pour Claire Bodson, ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’elle collabore avec le metteur en scène Christophe Sermet (titre de la Meilleure comédienne lors de la remise des Prix de la critique 2012). Une collaboration forte et complice. Quant à Laura Sepul, révélée par la célèbre série « Ennemi Public », a également une dizaine d’années de théâtre à son actif et joue dans une série télé suisse : « Quartier des banques ».
S’il est vrai que tous les éléments sont réunis pour faire de « Dernier Lit » une pièce très intéressante (sur-titrée en néerlandais) il n’en est pas moins vrai qu’elle est plus destinée à un public averti, voire, aux amateurs d’Hugo Claus. En effet, à la sortie de la salle, la mise en scène est reçue de manière mitigée par le public, spectateurs flamands et francophones. Certains ont décroché à un moment, d’autres s’y sont retrouvés, étant fervents lecteurs du romancier.
« Dernier Lit » : Il fallait oser. Mitigé : à voir ? À vous de voir !
Julia Garlito Y Romo,
à Bruxelles
Recommandé : la bande annonce de la pièce, magnifique ! :
http://www.kvs.be/fr/node/1718
(*) Scénographie & lumières : Simon Siegmann ; Costumes : Brandy Alexander ; Musique : Maxime bodson ; Assistanat stagiaire : Fiona Grau ; régie plateau : Stanislas Drouart ; régie lumière : Gauthier Minne – régie son : Boris Cekevda ou Hubert Monroy ; habillage : Nina Juncker
Info culture : Toujours dans le cadre des dix ans de la disparition d’Hugo Claus : Une exposition multidisciplinaire « Con Amore » que lui dédie Marc Didden, écrivain, journaliste, réalisateur : Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, jusqu’au 27 mai 2018 : https://www.bozar.be/fr/activities/132193-hugo-claus
Photos Gilles-Ivan Frankignoul