CRITIQUE. « DES ROSES ET DU JASMIN » – texte et mise en scène Adel Hakim – création – Théâtre des Quartiers d’Ivry, Manufacture des Œillets du 5 au 16 mars 2018 / Les Treize Arches, Brive, le 20 mars puis en tournée – Spectacle en arabe surtitré en français avec les acteurs du Théâtre National Palestinien – Durée estimée 3h.
Merci Adel Hakim !
Quoi de plus brulant, controversé, périlleux que la question israélo-palestinienne ? Et pourtant, si la pièce aborde ce conflit sans fard ni artifice, en sortant de « Des Roses et du Jasmin », c’est aussi la vie, l’amour, l’humain que l’on retient. C’est qu’Adel Hakim réussit, et c’est la grande force du spectacle, a apporté une dimension poétique à ce conflit. Une poésie pour respirer certes, mais aussi pour faire réfléchir. Une poésie pour mieux opposer la vie à la mort, l’amour à la haine, le rire aux larmes. « Tu veux rire alors que je pleure ? » interroge d’ailleurs l’un des chœurs de la pièce.
À la désolation qu’inspire ce conflit, Adel Hakim répond par le foisonnement. Ils déploient de multiples registres, créateurs de dynamique et d’élan : la pièce commence sous un air de cabaret, s’inspire d’une esthétique cinématographique, s’apparente à une fresque historique, parle d’histoires d’amour à tonalité shakespearienne et s’enlise progressivement dans une tragédie moderne aux accents grecs… Un mélange de genre habilement mis en scène et scénographié pour mieux illustrer la vie dans ce qu’elle a de plus beau et de plus laid, de plus contradictoire. La dimension tragique du propos n’en devient que plus criante, pathétique, désolante…
Le spectacle commence donc sous des airs de cabaret. Fil conducteur de ce spectacle, l’histoire nous est contée par des chœurs. Clowns à la fois comiques et tragiques, ils sont garants de la voix de l’auteur et du rythme de la pièce. Ils sont là pour faire rire, dénoncer, faire réfléchir et deviennent les témoins impuissants de ce qui se joue sur place en Palestine.
45 ans de l’histoire du peuple juif et du peuple palestinien, nous est contée, articulée autour de trois périodes marquantes de ce conflit. Mais derrière la Grande Histoire, il y a, surtout, celles plus intimes des hommes. Ici, celles d’une famille que nous suivons sur trois générations, engluée, toute qu’elle est, par le poids des événements passés.
1945, trois ans avant la création de l’État d’Israël, à Jérusalem. Myriam, jeune fille juive ayant fui l’holocauste rencontre John, un soldat britannique. Un amour compliqué dans une période d’après-guerre où la tension monte entre les Anglais occupants et les Israéliens en soif de reconstruction et d’indépendance. Myriam et John donneront naissance à une fille Léa.
1965, deux ans avant la guerre des 6 jours. Léa tombe amoureuse d’un Palestinien Mohsen suscitant la fureur de son oncle sioniste, Aaron. Un amour déchiré dans une période d’affrontement terrible entre Israéliens et Palestiniens. De leur union, deux filles verront le jour ; Rose et Yasmine qui grandiront et évolueront dans des camps opposés. 1988, à l’heure de la première intifada, l’amour finira par être impossible face à la haine grandissante entre les deux populations.
Au fil de la pièce jusqu’à sa conclusion, une question se pose. Simple et pourtant essentielle. « Qu’en est-il de l’amour ? », que peut l’amour au cœur de nos vies, l’amour supposé au dessus de tout, face à tant de haine et d’atrocité humaine. Et finalement que peut l’homme, si minuscule et dérisoire, face à une mécanique qu’il ne contrôle plus ? « …D’en prendre conscience. Et d’en parler. » propose, par l’objet même de ce projet, Adel Hakim.
Ce questionnement prend chair quand l’on écoute cette pièce jouée en arabe par une troupe palestinienne. Ce questionnement résonne d’autant plus fortement, quand on sait que le spectacle a été créé pour être joué au Théâtre national palestinien à Jérusalem; que l’équipe a dû se battre pour faire accepter, sur la scène palestinienne, d’aborder un pan de l’histoire juive*. Un questionnement qui devient puissant quant à la sortie du spectacle, des jeunes lycéens, dont c’est sûrement les premières fois au théâtre, totalement emballés par ces 3 heures de spectacle surtitré en arabe, se lancent des « j’ai grave kiffé », « Olala, ça m’a choqué » et continuent d’en parler…
Une tragédie sans issue mais qui finalement nous gonfle d’espoir. Merci Adel Hakim !
Marie Velter
*La lecture de « JOURS TRANQUILLES A JÉRUSALEM, chronique d’une création théâtrale », journal de bord du dramaturge Mohamed Kacimi qui a épaulé Adel Hakim, est une belle manière de poursuivre la pièce et d’en comprendre les enjeux à la création.
En tournée :
20 mars > Les Treize Arches – scène conventionnée de Brive-la-Gaillarde
23 mars > Théâtre du Passage Neuchâtel (Suisse)
27 mars > Théâtre du Vésinet
29 mars > Théâtre de Cachan
5 avril > Théâtre le Parvis – Tarbes
13 et 14 avril > Théâtre Liberté – Toulon
21 avril >Théâtre national de Nice