CRITIQUE. « Mélancolie(s) » à partir des Trois Sœurs et d’Ivanov de Tchekhov. Création et adaptation collective du collectif In Vitro. Mise en scène de Julie DELIQUET – Du 8 au 12 Janvier 2018 à 21H au Théâtre de la Bastille à Paris. Durée 1H50.
Tout commence par une rencontre entre Ivanov et les Trois (enfin deux) sœurs, personnages emblématiques de Tchekhov. Une rencontre inédite que nous propose Julie Deliquet et son collectif In Vitro, comme pour mieux nous plonger au cœur de l’œuvre, des réflexions philosophiques de l’auteur, comme pour mieux réveiller ces deux textes centenaires mais qui résonnent toujours avec une profonde actualité. Une rencontre d’individualités, de solitudes, de vagues à l’âme qui se superposent.
Dans Mélancolie(s), les crises existentielles se croisent, se confrontent, se confondent. Celle de Nicolas rongé par la culpabilité, le remord, le désespoir au côté de sa femme malade, celles de Sacha, Anna et Camille, deux sœurs et un frère, en mal de père depuis un an qui doivent trouver un nouvel équilibre. Tous se retrouvent, conversent, errent dans la maison de famille de cette fratrie au rythme des saisons, des événements : un anniversaire, une nouvelle année, un mariage… Le temps s’écoule, les vies s’étiolent, les rêves et les espoirs s’effacent et les questions sur la vie se font de plus en plus présentes… Nous sommes au cœur de leur repas, leurs débats, leurs disputes, leurs questionnements pour mieux interroger notre propre existence et le sens que nous voulons lui donner…pour finir envahis, nous aussi, d’une profonde mélancolie.
Le jeu de miroir fonctionne parfaitement. Le texte est d’une telle justesse que les expressions résonnent en nous profondément. Elles sont reprises et s’affichent d’ailleurs sur grand écran pour mieux nous les approprier. « Les fleurs renaissent au printemps, mais pas les joies…», « Je me dis souvent : mettons qu’on puisse effacer toute sa vie, et qu’on recommence, mais consciemment, cette fois. Mettons que la vie, celle qu’on aurait déjà vécue, ce soit un brouillon, et l’autre, le propre ! J’imagine que chacun de nous tenterait alors de ne pas se répéter non ? ».
La direction d’acteur et l’atmosphère créée réussissent pleinement à capter la vie, l’humain, la réalité de ces existences. Julie Deliquet, en ne se reposant quasi exclusivement que sur les acteurs, réussit encore une fois à nous « faire vivre » ces personnages, à toucher du doigt cette part de vérité humaine. S’en est troublant.
Mais, est-ce cette superposition d’existence, le jeu inégal des comédiens, un manque de changement de rythme, ou le propos lui-même de la pièce, qui finit, au fil des chapitres, par tourner en rond, nous lasser et nous épuiser ? Ce jeu sur le fil, ce rythme lancinant qui nous donne à voir l’ennui, le vide, l’absence de sens, est difficile à tenir avec intensité dans la durée. Et la bouffée de vie qui nous avait envahis dans les premiers chapitres finit par nous asphyxier dans le dernier.
Certes, nous sommes totalement dans le propos de la pièce mais nous sortons du théâtre pris d’un sentiment étrange à la fois nourris de cette pure réflexion Tchekhovienne et vidés… Il nous manque quelque chose… Un éclat, une lueur de vie, une profondeur…celle peut être qui nous avait tant transportés dans l’autre Tchekhov de Julie Deliquet, « Vania » à la Comédie Française.
Marie Velter